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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/113

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particulièrement décorer un apprenti diplomate, sans parler d’autres décorations dont sa complaisante modestie s’enrubanne, se harnache pour assister à un dîner de famille : touchante attention ! Cet aimable neveu prétend assurément honorer ainsi ses pauvres provinciaux de parents dans sa triomphante petite personne. Eh quoi ! encore des rires, mademoiselle ! — reprit Charles Delmare, car sa fille ne put retenir un nouvel éclat de rire un peu nerveux, dont le retentissement couvrit un léger bruit qui se fit entendre de nouveau en dehors de la tonnelle, et annonçait la présence d’un personnage que l’épaisseur de la charmille rendait absolument invisible aux yeux de Jeane et de Charles Delmare, qui reprit :

— Il est vraiment impossible, mademoiselle mon élève, de causer sérieusement avec vous.

— À qui la faute, cher maître ? Vous conservez un flegme impassible en disant les choses du monde les plus plaisantes ; aussi je crains fort maintenant de ne pouvoir plus regarder sans envie de rire ce malheureux et surtout indéterminé cousin, dont vous venez de tracer un si malin portrait.

Mais, s’interrompant et s’écoutant, pour ainsi dire, penser, Jeane, redevenue sérieuse, reprit :

— Quelle chose étrange cependant !

— Achevez, de grâce !

— Comment comprendre qu’une même personne nous puisse causer, en si peu de temps, des impressions tellement diverses ?

— Cette personne de qui vous parlez, — reprit Charles Delmare redevenu sérieux, — est sans doute votre cousin San-Privato ?

— Oui… et, je vous l’avoue, cher maître, son premier abord m’avait…

— Charmée ?

— Charmée… serait trop dire… et pourtant…

Jeane s’interrompit, rougit, baissa les yeux et reprit vivement, comme si elle eût voulu s’excuser de ses dernières paroles :

— Mais presque aussitôt il m’a déplu… et, malgré tout son esprit, je l’ai détesté… Il m’a fait peur, je l’ai craint jusqu’au moment où les parents de Maurice ont consenti à notre mariage. Oh ! alors, je me suis sentie délivrée d’un grand poids… et, à part moi… je bravais mon terrible cousin, — ajouta Jeane riant encore à demi, mais non plus avec cette expression de franche gaieté qui accueillait naguère le portrait satirique de San-Privato. — Enfin, voici que, grâce à vous, cher maître, je trouve très-ridicule celui qui m’avait fait trembler. Aussi je dis comme vous : quelle