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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/112

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peu s’il est possible de comparer la beauté de Maurice, digne… (il est absent, je puis convenir de ceci entre nous, et nous parlons d’ailleurs absolument au point de vue de l’art), comparer, dis-je, la beauté de Maurice, beauté digne de la statuaire antique par la noblesse de ses lignes, par son caractère de douceur virile, rare assemblage d’énergie et de grâce dans les traits, de souplesse, d’élégance et de force dans la stature… comparer, dis-je, toujours au point de vue de l’art, ce fier, beau et hardi jeune homme, à qui ? ou plutôt à quoi ? car, en vérité, mademoiselle, sans médire de ce que vous appelez votre cousin Albert, je dis ce que, parce que cela n’offre aucun caractère distinctif, c’est quelque chose de singulièrement indéterminé, ou, si vous préférez, de parfaitement ambigu, que monsieur votre cousin… Vous riez ?

— Je ne vous croyais pas, cher maître, un peintre de portraits si malin.

— Je ne plaisante pas, mademoiselle ! Et, afin de compléter la leçon, j’achèverai, s’il vous plaît, toujours au point de vue de l’art, la difficile et mystérieuse étude de ce que vous appelez votre cousin Albert. D’honneur, je cherche à deviner ce que peut être cette petite créature joliette et fluette, nette et proprette, pâlotte et maigrotte ! Est-ce un homme ? Il se pourrait, car il porte les vêtements masculins et parle au masculin de ses voyages, qu’il récite aussi couramment que s’il savait par cœur tous les Guides des voyageurs des deux mondes. Mais non, ce n’est pas un homme ; cette petite créature n’a rien de viril, de résolu dans son apparence. C’est donc une femme ?… Il se pourrait, car elle a l’afféterie mignarde d’une vieille coquette : elle minaude, elle roucoule en énumérant les têtes couronnées qui lui ont fait l’honneur de la trouver tout simplement adorable. Mais non, non, ce n’est pas une femme ; elle n’a rien de l’attrait, de la séduction de la femme. Qu’est-ce donc que cet être ambigu ? La sécheresse, l’ironie percent à chaque instant sous la grâce fardée de son langage, récits étudiés, impromptus médités, vives saillies préparées à l’avance, et autres soudaines improvisations de la veille ou de l’avant-veille, voilà son bagage. Comment, vous riez encore, mademoiselle ! — ajouta Charles Delmare en s’interrompant, voyant Jeane céder à l’hilarité que lui causait le portrait satirique d’Albert San-Privato. — Vous riez, mademoiselle ! Rien de plus sérieux cependant que ce voyage de ma pensée à la recherche de ce que peut être moralement et physiquement cette créature qui ne ressemble ni à un homme ni à une femme. Je rends, d’ailleurs, un juste hommage aux belles qualités de franchise et de loyauté surtout qui doivent