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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/130

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XXII

Madame San-Privato, restée seule dans le chariot à côté de M. Dumirail, se recueillit pendant un moment, prit son masque le plus doucereux, soupira, et, de sa voix la plus insinuante, dit à son frère :

— Mon ami, je profite d’un moment où nous sommes seuls pour aborder un sujet qui me pèse et dont j’ai hâte de t’entretenir ; je serai ainsi délivrée d’une assez pénible préoccupation… en m’épanchant avec toi…

— De quoi s’agit-il, Armande ? Tu sais combien tu peux et dois compter sur mon affection ?

— Mon ami, — reprit madame San-Privato avec un nouveau et profond soupir, tu n’ignores pas que mon mari a laissé des affaires assez embarrassées…

M. Dumirail, à ces mots de sa sœur, ne put dissimuler un mouvement de surprise chagrine ; il s’était plu à croire que l’affection seule amenait sa sœur près de lui, et il pressentait le but sans doute intéressé de cette visite ; déçu de son espérance, il s’attrista et répondit :

— Je n’ignore malheureusement pas que ton mari a toujours mené une vie fort dissipée ; de plus… et ceci a toujours été le sujet de notre grande querelle… ton laisser aller, ton habitude de dépenser sans compter, ta prodigalité, généreuse sans doute, mais irréfléchie, ont aggravé les conséquences du désordre de ton mari.

— C’est vrai, j’ai toujours été d’une incurie, d’une faiblesse déplorable en ce qui touche les affaires d’intérêt.

— Tu t’accuses de si bonne grâce, pauvre sœur, que je profite de l’occasion pour t’adresser un reproche. Je te demande à quoi bon louer une voiture et voyager en poste, pour te rendre ici… chez moi… ton frère ?

— J’ai pris la poste, parce que j’ai toujours eu en horreur les voitures publiques, où l’on est exposé à se trouver avec toutes sortes de gens souvent très-grossiers.