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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/135

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mais, crois-moi, chère sœur, peu à peu, et malgré toi, tu subiras la salutaire influence du bonheur dont nous jouissons, et, au bout de quelques mois, loin de regretter ton Paris, tu t’applaudiras d’être sortie de cet enfer, et tu béniras le jour où tu seras venue près de nous, car de ce jour dateront ton repos dans le présent et ta sécurité pour l’avenir.

Madame San-Privato, selon son habitude, posant en pauvre veuve aux yeux de son frère, s’était efforcée de le faire dévier de sa ferme et sage résolution ; mais, le trouvant inflexible, quoique, pour l’apitoyer, elle eût employé les séductions d’un langage tour à tour doucereux, suppliant, plaintif ou résigné, cachant ainsi les inexorables rancunes de son orgueil, de son égoïsme et de sa cupidité blessée, cette méchante femme ne songea qu’à satisfaire sa haine, n’ayant plus rien à ménager ni à espérer, son fils lui ayant déclaré, le matin même, qu’après mûre réflexion, il resterait neutre dans la question du prêt de cinquante mille francs, madame San-Privato, servie par le profond instinct de sa méchanceté, commença donc sur l’heure son œuvre de vengeance.


XXIII

La haine parfois inspire merveilleusement les méchants et leur donne, malgré la médiocrité de leur intelligence, une sorte de faculté d’intuition en leur indiquant, avec une effrayante certitude, le coup qu’ils doivent porter, l’endroit où il faut frapper.

Certes, rien de plus étroit, de plus obtus, et conséquemment de moins pénétrant que l’esprit de madame San-Privato. Son frère, sans parler de ses qualités de cœur, et en admettant même que l’on pût comparer deux personnalités si dissemblables, son frère valait cent fois, par l’intelligence, par le jugement, par le bon sens, cette vieille et haineuse écervelée. Cependant, sans autre force que l’instinct de sa méchanceté, elle devait triompher dans la lutte qu’elle allait engager, parce que cet instinct lui signalait le seul point vulnérable peut-être chez M. Dumirail, à savoir : l’orgueil