Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— D’ennui ? — reprit en souriant M. Dumirail ; — n’est-ce pas là ta pensée ?

— Hélas ! oui.

— Je m’attends bien à cela, pauvre Armande. On ne renonce pas impunément aux habitudes de toute sa vie ; mais je compte aussi sur notre tendresse à tous pour te rendre moins sensible la transition d’une vie bruyante au calme que l’on goûte dans notre retraite… Et, d’ailleurs, — ajouta gaiement M. Dumirail, — si tu persistes à regretter le bruit, l’animation, le mouvement, il est fort probable que, dans une année environ, le bruit, le mouvement ne te feront pas faute au Morillon, au contraire… et que cette animation ira toujours croissant.

— Qu’est-ce à dire, cher frère ?

— Est-ce que les enfants ne font pas un tapage infernal ?

— De quels enfants parles— tu ?

— De mes petits-enfants, de tes futurs petits-neveux, vu que bientôt je serai grand-père et toi grand’tante, j’en demande pardon à tes cheveux toujours noirs.

— Je devine… tu songes à marier Maurice ?

— Très-prochainement.

— Avec notre nièce Jeane, je parie ?

— Justement.

— Je m’en doutais. Hier à dîner, ce matin à déjeuner, ces deux chers enfants ne se quittaient pas des yeux.

— Depuis quelques mois, et dans la candeur de leur âme, ils s’aimaient sans avoir trop conscience de ce sentiment, nouveau pour eux ; mais, hier, une étincelle mis le feu aux poudres : ils ont vu clair dans leur cœur, et le soir, après souper, ils sont venus nous demander de les marier. Nous avons d’autant plus volontiers acquiescé à leur désir, que ce mariage entrait complétement dans nos vues.

— Je suis ravie, mon frère, de ce que tu m’apprends là, — répondit madame San-Privato d’une voix émue ; — le bonheur de Maurice et de Jeane est désormais assuré.

— C’est notre plus douce conviction.

— Et cette conviction, plus j’y réfléchis, plus je la partage : ce mariage, surtout pour Maurice, me paraît venir merveilleusement à point ; car sais-tu, cher ami, en venant ici, quelle était ma crainte ?

— Non.

— J’avais laissé, il y a quatre ans, Maurice adolescent, parfaitement satisfait de son existence campagnarde et montagnarde.