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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/152

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passionnément, ainsi qu’elle t’aime encore et t’aimera toujours. Cependant, malgré son profond amour pour toi, je lui inspire… et de ce sentiment involontaire elle se révolte… je lui inspire, dis-je… un…

— Monsieur ! — s’écria Jeane d’un ton suppliant, — assez, de grâce !… pas un mot de plus !

Et la jeune fille, pâle, frémissante, s’interrompit, bouleversée à ce point, qu’au lieu de nier simplement les prétendues divinations de San-Privato, elle leur donnait créance par son trouble et par la prière qu’elle semblait adresser à son cousin pour obtenir de lui le silence.

Maurice, stupéfait de l’émotion de sa fiancée, jeta tour à tour sur elle et sur San-Privato un regard inquiet, presque soupçonneux, et dit d’une voix altérée :

— Jeane, pourquoi donc interrompre Albert ? En vérité, ton émotion, ton accent, donneraient à croire qu’il possède un secret dangereux pour nous.

— Je l’avoue… j’étais loin de m’attendre à ce que ma cousine s’émût autant de mes paroles, — répondit San-Privato feignant la surprise, et jetant à Jeane un coup d’œil significatif qui semblait lui dire : « Ne craignez rien, je sais la cause de vos alarmes, je garderai notre secret, je vais calmer les inquiétudes de Maurice. »

Et Albert ajouta :

— L’interprétation que vous donnez, ma cousine, à la fin d’une phrase que vous n’avez pas entendue, l’espèce de crainte que vous témoignez en m’interrompant et me suppliant de ne pas achever, tout me prouve que je ne me trompais pas… non, non ! Oh ! j’ai bien deviné le fond de votre pensée.

— Soit ! — reprit impatiemment Maurice ; — mais cette pensée, quelle est-elle ?

— Je disais tout à l’heure que notre cousine t’aimait passionnément, ainsi qu’elle t’aime encore et t’aimera toujours, et que cependant, par un mystère inexplicable dont se révolte la loyauté de son âme, je lui ai inspiré… moi qui ne peux avoir, ni en bien ni en mal, la plus légère action sur vos amours… je lui ai inspiré, sans être connu d’elle, et par ma seule présence, une de ces antipathies invincibles dont l’on n’est pas maître. Mais, trop loyale pour ne pas se reprocher son injustice à mon égard, notre cousine m’a supplié de ne pas insister sur un fait qui était pour elle presque un remords… et, j’en suis certain, elle ne me démentira pas.