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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/16

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grâces, en vertus ; et, ainsi qu’à tous ceux qu’une idée fixe objurgue incessamment, le temps lui semblait s’écouler avec une incroyable rapidité.

Un jour, depuis peu de retour à Paris d’une excursion lointaine, Charles Delmare, jetant par hasard les yeux sur cette colonne des journaux où sont publiés les décès des habitants de la cité, lisait, parmi les adresses des personnes récemment trépassées : « Madame Ernest Dumirail, trente-six ans, rue de Ponthieu, 17. » Courir à cette adresse et s’informer de la fille de la morte, telle était la première pensée de Charles : il apprenait du concierge de la maison mortuaire que feu madame Ernest Dumirail avait habité la maison depuis quelques mois, ne sortant que pour aller visiter sa fille, âgée d’environ quinze ans, pensionnaire d’une institution située dans la même rue ; enfin, l’oncle de cette jeune fille, M. Julien Dumirail, habitant près la ville de Nantua, dans le département du Jura, était venu chercher sa nièce chez son institutrice, et l’avait emmenée avec lui. Charles Delmare, certain cette fois de revoir sa fille et de se rapprocher d’elle, se mettait en route pour les montagnes du Jura.

 

Ainsi que nous l’avons dit, et grâce à un singulier phénomène psychologique, Charles Delmare, plongé dans une rêverie profonde, venait, en quelques secondes à peine, d’évoquer à ses yeux les souvenirs de sa vie entière, après avoir dit à Geneviève :

— J’ai eu malheureusement deux duels l’un a causé la mort de mon père, qui m’a cru tué ; l’autre m’a séparé pour toujours de la femme que j’ai le plus tendrement aimée… Ah ! dans ces deux faits douloureux qui marquent le début et le terme de ma jeunesse… que de souvenirs… que de souvenirs ! Il me semble qu’en ce moment le passé tout entier se représente à mon esprit !