Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/165

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

as repris ton assurance, tu connais ce chemin où tu as déjà passé deux fois sans le moindre risque ; précède-nous, je pourrai veiller sur toi. Surtout, marche doucement et avec précaution ; dans deux minutes, nous aurons atteint les prairies.

La jeune fille jeta un regard de mépris et d’aversion sur San-Privato, qui semblait étranger à ce qui se passait autour de lui, et elle commença de gravir lentement, mais d’un pied sûr, les gradins abruptes qui côtoyaient l’abîme et remontaient vers le col de Treserve.

— Maintenant, — dit Maurice à son cousin, — si tu te sens capable de marcher, tu t’appuieras sur mon bras, et, en te guidant, je m’effacerai de manière à te cacher la vue des précipices.

— Mon cher Maurice, — balbutia San-Privato, toujours agenouillé, la face tournée du côté du roc et n’osant bouger, encore abasourdi, presque hébété par la peur, — je suis rompu, brisé ; le vertige me reprend à la seule pensée de remonter aux prairies, même avec l’appui de ton bras.

— En ce cas, je vais te prendre sur mon dos à califourchon, comme on porte les enfants ; tu fermeras les yeux, tu t’abstiendras de tout mouvement ; sans quoi, tu me ferais perdre l’équilibre, et dans dix minutes nous serons au col de Treserve…

— Et comment veux-tu que je monte sur tes épaules ? Je n’ose me retourner crainte d’être de nouveau saisi de vertige, et c’est à peine si j’aurais la force de me tenir debout.

— Écoute-moi bien : je vais me baisser autant que possible et t’offrir mon dos ; tu passeras tes bras autour de mon cou, je prendrai tes jambes sous mon bras… Mon pied est léger… tu tiendras les yeux toujours fermés, afin de n’être pas troublé par la vue des précipices, et bientôt nous arriverons là-haut sans encombre. Allons, du courage, Albert, et à dada !… — reprit en souriant le bon Maurice, afin de rassurer son cousin par cette plaisanterie.

San-Privato, malgré l’effroi que lui causait le singulier moyen de locomotion proposé par son cousin, dut se résigner à l’accepter ; il ferma donc les yeux, et, selon la manière convenue entre eux, il enfourcha Maurice. Celui-ci, se levant sans broncher sous son fardeau, continua de gravir la montée escarpée, suivant, à quelque distance de lui et d’un regard rempli de tendre sollicitude, Jeane, qui lui semblait encore plus chère depuis qu’il l’avait arrachée à la mort ; Jeane, qui, retrouvant son agilité hardie, déployait dans son ascension les trésors de sa taille accomplie, si svelte, si souple, si libre sous les plis ondoyants de sa robe légère. Pendant un moment surtout, l’attitude de cette créature char-