Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la jeune fille avait dans la force, dans l’adresse, dans le courage de son fiancé, la raniment, et, grâce à l’appui qu’il lui prête, elle se relève, et, d’affaissée qu’elle était, s’agenouille ; puis, fermant les yeux afin d’échapper au vertige que pouvait, dans son état de faiblesse, lui causer l’aspect du vide, elle se lève debout, s’appuie aux parois du roc et reprend peu à peu complétement ses esprits.

San-Privato, toujours cramponné à la jambe de Maurice, aussi inflexiblement tendue que l’eût été une jambe de bronze, fut à son tour mis hors de danger par son cousin, qui, ignorant encore la lâche scélératesse de ce misérable, le saisit par-dessous les bras en lui disant :

— Maintenant, abandonne ma jambe, ne te roidis pas, laisse-toi enlever !

Albert obéit, et son sauveur, se renversant lentement en arrière, cambré sur ses reins d’athlète, souleva et attira devers lui son cousin, jusqu’à ce que ses genoux fussent au niveau du sentier.

— Maintenant, — ajouta Maurice, — demeure un moment agenouillé, le dos tourné au précipice ; tu essayeras ensuite de te tenir debout et de marcher. Si tu n’en as pas la force, je te porterai sur mon dos pendant une cinquantaine de pas, au delà desquels nous retrouverons les prairies. Excuse-moi, mon pauvre Albert, de t’avoir engagé dans ce maudit chemin ; j’aurais dû réfléchir que, sans danger pour nous autres montagnards, ce passage était périlleux pour qui n’a pas, comme nous, la tête solide et le pied sûr.

Maurice prononçait ces mots lorsque Jeane, complétement redevenue maîtresse d’elle-même, rajusta de son mieux le désordre de ses vêtements et de sa chevelure, et dit :

— Maurice, mon bien-aimé Maurice… à toi je dois la vie… car sans toi… notre vaillant et généreux cousin que voici… à genoux, suant encore la peur, la face collée au roc… tout à l’heure m’étranglait et m’entraînait avec lui dans le précipice… au moment où je…

Mais Jeane, s’interrompant et frémissant encore de secrète indignation, ajouta, souriant avec amertume :

— J’aurai plus tard à te raconter des choses étranges… oh ! bien étranges, sur l’événement qui vient de se passer.

— Je tremble encore à la seule pensée du péril où je t’ai vue exposée, Jeane, — reprit Maurice, ne pouvant supposer le motif des réticences de sa fiancée. — Notre malheureux cousin avait perdu la tête… Hélas ! la peur ne raisonne pas, et l’homme qui se noie cause souvent la perte de celui qui tente de le secourir. Merci Dieu ! chère Jeane, nous n’avons plus rien à redouter ; tu