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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/203

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— C’est plaisir que de causer avec les gens qui entendent à demi-mot.

— Ainsi, mon cher, dans le cas où j’aurais la fantaisie d’épouser Jeane ou d’en faire ma maîtresse… ?

— Je me chargerais de vous guérir radicalement de cette fantaisie-là.

— Toujours par ce même petit moyen que vous dites, cher monsieur Delmare ?

— Toujours.

— C’est vulgaire !

— Oui, mais c’est d’un effet très-sûr ; voilà pourquoi ma fille ne sera jamais ni votre femme… parce que ce serait le malheur de sa vie… ni votre…

― Ni ma maîtresse… achevez donc !… Vous êtes, mon cher, d’une pruderie de rosière.

— Il suffit, nous nous entendons.

— À merveille !… Et, afin de nous résumer, de nous recorder, cher monsieur Delmare, il est convenu, entendu, arrêté, que vous userez de votre influence sur la famille Dumirail pour faire ajourner indéfiniment le mariage de Jeane et de Maurice, et que, pour un motif quelconque, dont j’abandonne le choix à votre fertile imagination, Maurice viendra visiter Paris à la fin de ce mois ; faute de quoi Jeane et mon oncle sauront que vous êtes le meurtrier de M. Ernest Dumirail… Et, sur ce, cher monsieur Delmare, remontons en voiture, car nous voici bientôt arrivés au Morillon.

En effet, le chariot, où San-Privato et Charles Delmare reprirent leur place, descendait la dernière pente qui conduisait à la maison d’habitation ; la nuit était presque venue, lorsque M. Dumirail et ses hôtes arrivèrent au Morillon. Un élégant coupé de voyage, attelé de quatre chevaux de poste, attendait dans la cour le jeune diplomate, à qui l’ambassadeur de Naples envoyait une de ses voitures, ignorant quel mode de transport il avait employé pour se rendre dans le Jura. Les bagages étaient déjà chargés dans la voiture, sauf un rechange complet de vêtements pour San-Privato, qui, après un quart d’heure consacré à sa toilette, prit congé de son oncle, auquel il exprima ses regrets d’être obligé de le quitter si brusquement.

Madame San-Privato, triomphante d’orgueil, fit ses adieux à son frère, qui lui donna la main pour l’accompagner ; mais, au moment de la quitter, il voulut témoigner à la fois de sa persistance à accomplir un devoir sacré à ses yeux et se venger quelque peu de l’évidente malveillance de sa sœur, car elle jouissait moins en-