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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/205

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— En route et bon train !… Cent sous de guides !

Le courrier partit au galop en faisant bruyamment claquer son fouet. Les deux postillons l’imitèrent, et M. Dumirail, debout, à côté de Charles Delmare, sur la dernière marche du perron de la maison, suivait, d’un regard pensif et triste, la voiture qui s’éloignait rapidement, tandis qu’il répétait à voix basse, avec une sorte d’amertume :

— Votre Excellence !… Votre Excellence !…

— Mon ami, — dit Charles Delmare à M. Dumirail, — excusez-moi si, ce soir, je ne vous tiens pas compagnie… je me sens un peu souffrant… j’ai hâte d’être de retour chez moi…

— Qu’avez-vous, mon cher Delmare ? Vous ne vous sentez pas, je l’espère, gravement indisposé ? — demanda M. Dumirail avec l’accent d’un intérêt cordial.

Et cependant, pour la première fois peut-être depuis leur intimité, il se sentait embarrassé de la présence de son ami.

Celui-ci répondit :

— J’éprouve une fatigue extrême, j’ai seulement besoin de repos… Demain matin, je viendrai savoir des nouvelles de Jeane.

— Vous la trouverez ici… probablement, car, dans la matinée, je l’enverrai chercher au chalet, ainsi que ma femme. Adieu donc, mon cher ami, bonne nuit je vous souhaite ! Demain, sans doute, vous ne ressentirez plus votre fatigue.

— À demain donc, — reprit Charles Delmare, enfin frappé de l’évidente contrainte de M. Dumirail, qui, chose étrange dans les circonstances actuelles, ne prononça pas un mot relatif au brusque départ de madame San-Privato et au poste éminent auquel Albert venait d’être appelé ; — à demain donc, — reprit Charles Delmare en s’éloignant, — bonsoir !

— Bonsoir, — répondit avec discrétion M. Dumirail, prêtant l’oreille aux tintements des grelots des chevaux de poste qu’il entendait encore dans le lointain.

Et il répéta en soupirant :

— Votre Excellence ! Votre Excellence !…