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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/21

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Puis, après un moment de silence et de réflexion, Charles Delmare reprit :

— Tiens, nourrice, je ne crois guère aux pressentiments, je ne crois pas surtout à ce vieil adage : « que le malheur n’est jamais si voisin de nous qu’alors que tout nous sourit… » cependant, malgré moi… depuis quelque temps… j’éprouve une sorte d’anxiété.

— Et à propos de quoi ?

— À propos d’un événement qui, s’il se réalisait, dépasserait les plus beaux rêves que j’aie jamais faits pour l’avenir de ma fille… Aussi la crainte de voir mes espérances déçues cause cette anxiété dont je suis tourmenté.

— Il s’agit de ta Jeane… je suis tout oreilles.

— Elle aura bientôt dix-huit ans… elle est en âge de se marier… Elle est si heureusement et si diversement douée, que je me demandais souvent, avec appréhension, en quelles mains tomberait le trésor… quel serait son époux…

— Que dis-tu ? Est-ce qu’il y aurait des projets de mariage pour ta fille ?

— Des projets ? non… mais, si mes observations ne me trompent pas, je crois que Jeane, à son insu peut-être, tant est grande sa candeur, aime… et est aimée…

— Et qui donc, selon toi, aimerait-elle ?

— Son cousin.

— Ah ! mon Charles ! Si c’était vrai, quel bonheur pour ta fille !… Il n’est pas de meilleur jeune homme au monde que M. Maurice !

— Non… car, depuis trois ans, je vois chaque jour Maurice et je le connais à fond ; aussi, je dis, comme toi : Il n’est pas de meilleur jeune homme au monde !

— Ainsi, ces chers enfants sont, sans s’en douter, amoureux l’un de l’autre ?

— J’en suis presque certain… car, surtout de la part de Jeane, succède maintenant une sorte de réserve à la familiarité qui existait entre elle et Maurice, habitués jusqu’à présent à se regarder comme frère et sœur… Il semble, de son côté, parfois troublé par la présence de sa cousine… il devient rêveur, je l’ai surpris livré à des accès de mélancolie profonde. Cependant il n’a pas, sans doute, non plus que Jeane encore, lu clairement dans son cœur.

M. et madame Dumirail se sont-ils aperçus de cet amour ?… consentiraient-ils à ce mariage ?

— Je n’ai à ce sujet aucune assurance, mais…