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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/210

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paré de votre fille, qui vous croit le meurtrier de son père !… » Telle est donc la menace de cet homme.

— Bon, — reprend Geneviève avec un accent cogitatif et ne songeant plus à vitupérer contre San-Privato ; — mais cette menace, peut-il l’exécuter ?

— Il le peut.

— Bon ! et quand je dis bon, à propos de ce qui est si mauvais, tu comprends, mon Charles, que je dis cela par manière d’acquit, et…

— Certainement… continue.

— Ah çà ! pourtant, voyons donc un peu ! On apprend à M. Dumirail que tu es le prétendu Wagner, bon ; mais qui affirme cela ? Le muscadin. Or, si tu niais la chose ?

— De deux choses l’une : ou M. Dumirail ajoutera pleinement foi à la révélation de San-Privato, et, sans vouloir même me revoir, me fermera sa porte en me signifiant le motif de notre rupture ; ou bien, ce qui est plus probable, hésitant à croire à cette révélation, il s’adressera cordialement à ma loyauté, à mon honneur, afin de savoir de moi la vérité.

— Bon !… et dans le premier cas ?

En admettant que M. Dumirail, persuadé que je suis le meurtrier de son frère, consente à me recevoir, il me faudrait donc nier effrontément la vérité ; je me sens incapable d’un aussi audacieux mensonge.

— Et dans le second cas ?

— Que répondre à M. Dumirail me disant : « On vous accuse d’être le meurtrier de mon frère… Je ne veux pas ajouter foi à cette horrible révélation ; donnez-moi votre parole d’honnête homme que le fait est faux, et je vous croirai… » Dis, nourrice, puis-je commettre un pareil parjure ?

— C’est vrai, mon Charles, tu ne peux pas nier le fait. Voilà donc M. Dumirail instruit sans rémission que tu es le prétendu Wagner. Bon !… Maintenant, crois-tu que cette découverte éteindra tout d’un coup la grande amitié que M. Dumirail a pour toi ?

— Cela n’est pas douteux : il chérissait son frère ; le souvenir de sa fin tragique saigne toujours dans son cœur… Hier encore, en me parlant de cette mort, lui, ordinairement inoffensif et doux, m’a surpris par la violence de ses haineux ressentiments contre le séducteur de sa belle-sœur. Non, non ! jamais son ancienne amitié pour moi ne prévaudra sur l’aversion que je lui inspirerai désormais ; et si, par impossible… je dis, Geneviève, par impossible… notre ancienne amitié pouvait balancer dans le cœur de M. Dumirail sa récente aversion, le respect de lui-même et les plus sim-