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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/227

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Et, s’adressant à Charles Delmare, Maurice ajouta :

— Ah ! cher maître, bénis soient aussi vos conseils ! Je reviens à mon refrain favori : « Vivent les prés fleuris et ma femme tant aimée !… Laboureur je suis né, laboureur je mourrai ! »

Les deux jeunes gens, se tenant par la main, cédèrent à l’élan d’une joie folle, et, ainsi que l’on dit, ne touchant pas la terre, effleurant à peine l’herbe des prés, se dirigèrent en courant vers le chalet, afin de prier M. et madame Dumirail de rapprocher l’époque de leur union. Charles Delmare les suivit d’un regard attendri, se disant avec ravissement :

— Enfin, ces chers enfants, ils sont sauvés…

Puis, étouffant un soupir de douloureuse angoisse :

— Hélas ! bientôt San-Privato tiendra sa promesse, révélera mon fatal secret à M. Dumirail ; alors ma fille sera perdue pour moi ; à ses yeux, je serai le meurtrier de son père… elle ne ressentira plus pour moi que de l’aversion, que de l’horreur !

M. Dumirail, préoccupé, soucieux et depuis peu arrivé au chalet, s’entretenait avec sa femme et lui disait :


XL

— Avoue que tu es aussi dépitée que moi de voir notre neveu, à son âge, chargé d’affaires avec le titre d’Excellence, puisqu’on l’appelle Votre Excellence !

Et, soupirant, M. Dumirail ajouta avec amertume :

— Son Excellence, Son Excellence, tandis que notre fils…

Madame Dumirail, voyant son mari redevenir silencieux, reprit :

— Non-seulement, mon ami, je n’éprouve aucun dépit de l’avancement d’Albert, mais j’ai fini, grâce à Dieu, par vaincre certains mauvais sentiments d’envie ou de jalousie maternelle qui s’étaient éveillés en moi depuis l’arrivée de ma belle-sœur et de notre neveu.

— Ma chère Julie, ce que tu éprouvais, ce que j’éprouve moi-même, n’a aucun rapport avec la jalousie ou l’envie : c’est le