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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/234

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nous ! Ah ! contre cette exécrable passion, je lutterai de toutes mes forces d’épouse et de mère. Oui, à cette lutte, mon ami, je suis résolue, parce que, en luttant, je défends mon fils !

— Défendre votre fils, madame… et contre qui ? — s’écrie M. Dumirail, d’abord quelque peu apaisé, sinon convaincu par les premières paroles de sa femme.

Puis, s’irritant de nouveau :

— Contre qui voulez-vous défendre votre fils ?

— Contre sa propre faiblesse, mon ami, — répondit d’une voix ferme madame Dumirail, reconnaissant avec douleur la vanité de sa tentative conciliatrice ; — oui, je défendrai mon fils contre sa faiblesse, et, s’il le fallait, contre la vôtre.

— Madame, cette audace… !

— Cette audace… au besoin… je l’aurai.

— C’en est trop ! Et qui donc, ici, madame, a le droit de décider de l’avenir de mon fils ?

— Ah ! fasse le ciel que, de cet avenir, ce ne soit pas vous, monsieur, qui décidiez, dans l’aberration d’esprit où je vous vois ! Et, puisque vous ne voulez pas écouter la voix de la raison, je dois enfin vous dire ce que j’ai eu vingt fois sur les lèvres depuis le commencement de ce pénible entretien.

— Je suis curieux de vous entendre.

— Eh bien ! monsieur, vous prêtez à notre fils une vocation qu’il n’a pas, d’ambitieux désirs qu’il n’a pas. C’est vous, oui, vous seul, qui, égaré par l’égoïsme de l’orgueil paternel, voulez pousser Maurice dans une voie nouvelle ; car je vous défie d’affirmer qu’il vous ait dit un mot, un seul mot, de cette vocation qu’il vous plaît de lui supposer.

— Et quand cela serait, madame ?

— Ainsi, vous l’avouez, c’est à l’insu de Maurice que…

— Et qu’ai-je donc à cacher, madame ? Quoi donc de plus légitime, de plus respectable, que le sentiment d’un père qui, mettant son ambition, sa fierté dans le succès que son fils peut obtenir par son mérite, serait désireux de voir la carrière de son enfant éclatante et considérée ? Ainsi je déraisonne, je risque de compromettre l’avenir de Maurice, parce que je suis résolu, non de provoquer, mais de favoriser la vocation de mon fils, s’il voulait servir son pays dans l’une des plus nobles professions qu’il soit donné à un citoyen d’embrasser ? Est-ce qu’en cela je suis en contradiction avec mes principes ? Est-ce qu’avant-hier encore, madame, je ne vous disais pas : « Nous ne saurions, certes, désirer pour Maurice une condition plus douce, plus paisible, plus