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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/235

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heureuse que celle qu’il a choisie ; mais il en est de plus brillantes et de plus honorées, par cela qu’elles sont plus difficiles, plus laborieuses ? »

— Ah ! croyez-moi, au nom du ciel, croyez-moi ! — reprit avec une croissante et douloureuse angoisse madame Dumirail ; — malgré vous, ou à votre insu, et c’est là votre excuse, car vous êtes homme de bien, homme de cœur, vous cédez à l’égoïsme de la jalousie paternelle. Vous enviez votre sœur, de qui le fils est aujourd’hui décoré du titre d’Excellence ; ce titre vous a tourné la tête, voilà le vrai. Vous rêvez maintenant pour Maurice le titre d’Excellence… et à cette vanité, d’une réalisation si douteuse, vous sacrifieriez aveuglément aujourd’hui le bonheur de notre fils ; non, non, cent fois non ! Comme mère, comme épouse, je protesterai, je lutterai contre votre funeste ambition, tant que me restera la force ou le pouvoir de protester, de lutter.

— Eh bien ! nous verrons, madame, dans cette lutte, à qui restera l’avantage. Mais, d’abord, retenez ceci : Dans le cas où, ainsi que cela est possible, Maurice désirerait entrer dans la diplomatie, il partirait pour Paris, afin d’y suivre son cours de droit et d’aller travailler au ministère des affaires étrangères, puisque le bonheur veut que j’aie rendu d’assez grands services à M. de Morainville pour pouvoir tout attendre de sa protection en faveur de mon fils, dont il facilitera les débuts diplomatiques. J’ai écrit ce matin même à ce sujet à M. de Morainville, le priant de me répondre courrier par courrier. Enfin, madame, mon égoïsme, mon imprévoyance, mon insanité d’esprit me laissent heureusement assez de judiciaire pour reconnaître que Maurice ne peut être abandonné seul à lui-même, à Paris, malgré la sollicitude tutélaire dont l’entourerait certainement M. de Morainville. Je vous propose donc d’accompagner notre fils à Paris, et, si vous refusiez d’accomplir ce devoir sacré… je l’accomplirais moi-même, après avoir affermé le Morillon, opération prompte, facile et avantageuse, car nos terres sont maintenant tellement mises en valeur, que je reçois chaque jour, de la part de personnes les plus solvables, l’offre de prendre à bail le Morillon pour trente mille francs par année. Voilà, madame, à quoi, le cas échéant, je suis décidé. Engagez maintenant, si cela vous plaît, une lutte impuissante contre moi, rien ne pourra ébranler ma volonté.

M. Dumirail fut interrompu par l’entrée de Jeane et de Maurice, accompagnés de Charles Delmare.