Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XLII

M. Dumirail se tut et parut embarrassé à la vue de Jeane, de Maurice et de Charles Delmare. Celui-ci, remarquant l’animation des traits de son ami, sa physionomie empreinte d’une colère contenue, pressentit qu’une discussion orageuse venait d’éclater entre les deux époux, discussion dont il s’alarma d’autant plus qu’elle était absolument contraire à leurs habitudes et annonçait chez M. Dumirail une profonde perturbation morale.

Les deux fiancés, absorbés par la pensée de la démarche qu’ils venaient tenter auprès de leurs parents avec la presque certitude de réussir, ne firent pas la même observation que leur cher maître ; mais tous deux ne purent cacher leur surprise lorsque M. Dumirail, toujours si affectueux, leur dit brusquement, presque durement :

— Que voulez-vous ? Vous voyez bien que je suis occupé à causer avec ma femme.

Et, s’adressant à Charles Delmare d’une voix moins brusque, mais dont l’accent témoignait d’une certaine impatience imprévue, M. Dumirail ajouta :

— Je ne comptais pas, mon cher voisin, avoir le plaisir de vous voir ce matin. Vous n’êtes donc pas allé au Morillon avant de venir ici ?

— Non, mon ami, j’ai monté directement au chalet. Aviez-vous laissé chez vous quelque recommandation à mon adresse ?

— On devait vous dire que nous vous attendions pour dîner, mais qu’il était inutile de vous donner la peine de monter au chalet, où nous désirions passer la journée absolument en famille.

Ces derniers mots : « Absolument en famille, » frappèrent Charles Delmare d’un profond et douloureux étonnement ; il se voyait, pour la première fois depuis trois ans, exclu de l’intimité de ses amis ; la froideur soudaine et très-visible de M. Dumirail envers lui le persuadait qu’il était, ainsi que l’on dit, de trop ; mais