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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/258

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toute la splendeur de sa beauté, elle était depuis environ sept années absente de Paris, où l’on ne se souvenait guère de la Montrésor, de qui le renom n’avait guère dépassé les limites de la caserne de son premier protecteur. Antoinette revit à Paris l’ambassadeur de Naples, le prince de Serra-Nova, qu’elle avait connu en Italie au temps de lord Fitz-Gerald.

L’ambassadeur, non moins grand seigneur, non moins magnifique que le lord, songea qu’il ne pouvait choisir une maîtresse plus convenante à sa position que madame la baronne de Hansfeld, déjà millionnaire, femme charmante et spirituelle, façonnée aux habitudes de la meilleure compagnie, et chez laquelle il pourrait, avec une douce satisfaction d’amour-propre, recevoir en garçon ses amis ou ses collègues du corps diplomatique.

Le luxe appelle le luxe ; peut-être, malgré sa magnificence, M. l’ambassadeur eût-il relativement lésiné avec une fille entretenue de bas étage ; mais, lorsque l’on prend, à soixante ans, pour maîtresse une femme possédant déjà l’opulence, on est obligé à des dépenses proportionnelles, en d’autres termes, énormes.

Le prince de Serra-Nova, maître d’ailleurs d’une fortune colossale, fit donc présent à madame de Hansfeld d’un ravissant hôtel, situé dans le faubourg du Roule, et meublé avec un faste inouï, et monta et défraya sa maison sur un très-grand pied. Elle eut deux cochers, six chevaux dans son écurie, quatre valets de pied, deux valets de chambre, un maître d’hôtel et l’un des meilleurs cuisiniers de Paris. Le prince de Serra-Nova aimait fort la bonne chère, et, sauf ses réceptions d’apparat et ses galas officiels, il recevait son intimité chez madame de Hansfeld, fort peu jaloux d’ailleurs, en homme bien appris et bien avisé, ne demandant à Antoinette que de sauvegarder les convenances et aussi de s’abstenir de recevoir des femmes, puisqu’elle ne pouvait recevoir qu’une société féminine équivoque ou tarée ; il donna seulement à Antoinette une dame de compagnie d’un âge respectable, et, afin de ne pas être obsédé sans cesse de la présence de cette duègne, il l’appointa largement et la logea très à proximité de l’hôtel de madame de Hansfeld. Celle-ci envoyait quérir cette espèce de chaperon, afin de n’être pas esseulée lorsqu’elle allait se promener en voiture ou qu’elle assistait dans sa loge aux représentations de l’Opéra.

Tel était donc, à l’époque de ce récit, le passé d’Antoinette Godinot, née Renard, et, par surcroît, baronne de Hansfeld. Ses relations avec l’ambassadeur de Naples duraient depuis huit mois environ, et elle atteignait sa vingt-sixième année.