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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/279

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vos devoirs de famille, à vos études, à vos travaux ; c’est à ce prix, mon ami, que vous deviendrez un homme éminent, que j’espère voir, que je verrai grandir, s’élever chaque jour par son mérite.

— Ah ! ces nobles et encourageantes paroles me prouvent combien l’intérêt que vous me portez est sincère ; mais, encore une fois, la cause de cet intérêt ?…

— Maurice, vous oubliez déjà ma prière… ne vous ai-je pas dit qu’un serment sacré ?…

— Pardon, pardon !

— Vous êtes pardonné. Je continue. Certes, je vous engagerai toujours à vous efforcer de conquérir une haute position par votre mérite ; mais je n’ignore pas que les délassements, les distractions, les plaisirs sont un besoin impérieux pour un homme de votre âge. Seulement, mon ami, il est un choix dans les plaisirs : il en est de décents, d’honorables, qui seuls forment le cœur et l’esprit ; mais il est des plaisirs dégradants, honteux, qui ne laissent après eux qu’amertume et dégoût. C’est de ceux-là surtout, si dangereux à Paris, que je voudrais, en sœur vigilante, en bon ange tutélaire, vous préserver, Maurice, dans votre intérêt et dans celui de votre fiancée, afin que vous restiez digne d’elle ; aussi, mon ambition serait… Mais, non, je n’ose…

— Oh ! de grâce, achevez !

— Eh bien ! je voudrais disposer en souveraine, oh ! mais en souveraine absolue, d’une partie du temps que vous consacrerez à vos distractions, à vos plaisirs… et peut-être n’auriez-vous pas à vous repentir de ma tyrannie…

— Mon Dieu ! est-ce que je rêve ? est-ce que je rêve ? Qui m’a donc mérité tant de bonté de votre part ?

— On mérite toujours le sentiment que l’on inspire, mon ami, et d’ailleurs, m’occuper de vos plaisirs, n’est-ce pas encore m’occuper des miens ? Et, à ce sujet, revenons à mon programme : j’ai d’excellentes loges à l’Opéra et aux Italiens ; je suis quelque peu musicienne, j’adore la musique, et je trouverais charmant de vous faire quelquefois partager mon admiration pour les chefs-d’œuvre des maîtres. Je dis quelquefois, car je n’ose être exigeante. Mon seul espoir est qu’un jour ou deux par semaine vous me consacrerez, à moi, votre amie, votre sœur, l’une de ces soirées qui, je le sais, appartiennent à votre mère, à votre fiancée ; mais une sœur a aussi ses droits, Maurice. Après l’Opéra, je vous reconduirai impitoyablement chez vous dans ma voiture, de peur que votre absence prolongée n’inquiète votre excellente mère.