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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/281

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Champs-Élysées, et, par parenthèse, retenez, mon ami, cette invariable loi en ce qui touche la toilette, et à quoi se reconnaît généralement l’homme distingué : il porte toujours le soir des bas de soie, des souliers et un habit ; la toilette du matin est livrée à la fantaisie. D’ailleurs, afin de vous rendre plus facile l’observance des diverses règles de ce que le monde appelle le savoir-vivre, je chargerai tout à l’heure mon maître d’hôtel de vous trouver et de vous envoyer, dès demain, s’il se peut, un valet de chambre de très-bonne maison ; vous le laisserez faire : il préparera, comme il convient, vos toilettes du soir et du matin, vous coiffera avec goût, et, si vous m’en croyez, il rasera cette barbe naissante, à laquelle vous tenez peut-être beaucoup, mais qui, je vous l’assure, ne vous sied point du tout. Il respectera cependant vos petites moustaches brunes, qui rendent encore plus éclatant l’émail de vos dents ; j’autorise même de légers favoris à l’anglaise, mais tout le reste de cette barbe fine et soyeuse sera impitoyablement supprimé. D’ailleurs, consultez sur ce sujet important votre aimable Jeane ; elle sera certainement de mon avis. Enfin, pour compléter la métamorphose, je vous ferai envoyer, demain matin, le célèbre M. Peau ; il soignera, comme il convient, votre main, donnera à vos ongles la forme, le poli qui leur manquent, et maintiendra surtout fort long l’ongle du petit doigt, puisqu’elle est revenue, cette mode dont parlait Molière, en disant :

Est-ce par l’ongle long qu’il porte au petit doigt ?

Peut-être, mon cher Maurice, ces recommandations vous sembleront futiles ; cependant elles ne le sont pas. Les hommes (je ne dois, je ne veux pas vous parler des femmes), les hommes les plus sérieux ne sont pas insensibles à cette réunion de mille petits détails qui constituent, en somme, un extérieur éminemment distingué. Or, la distinction est une des qualités essentielles, presque indispensables que l’on exige, surtout de ceux-là qui, ainsi que vous, mon ami, embrassent la carrière diplomatique ; aussi, croyez-moi, des manières parfaites, l’usage du monde, une toilette de bon goût, sont au moins pour moitié dans la valeur des diplomates appelés à se trouver en rapports constants avec l’élite de la meilleure compagnie de l’Europe. Peut-être, mon ami, mes conseils ne vous paraîtront-ils pas maintenant aussi puérils qu’ils le semblent.

— Que vous dirai-je ? — reprit Maurice de plus en plus sous le charme d’Antoinette. — Soit que vos conseils s’élèvent à ce qu’il y a de plus noble dans les sentiments, soit qu’ils descendent