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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/284

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à cela ; c’est mon désir le plus cher. Un caprice de cœur, direz-vous ; soit, mais ce caprice, je suis résolue de le satisfaire à tout prix, à moins cependant que monsieur votre père ne refuse absolument de vendre le Morillon. Ah ! mon ami, qu’il me sera doux de promener mes pensées mélancoliques, oh ! bien mélancoliques, peut-être, sous ces ombrages où, enfant, vous avez joué, où, adolescent, vous avez rêvé ; ce sera ma seule, ma dernière consolation, si un jour…

Madame de Hansfeld parut accablée par l’émotion et s’interrompit ; puis, tendant la main à l’ingénu :

— Adieu, Maurice ! à demain, n’est-ce pas ?

— Oui, madame.

— Encore et toujours ce mot madame, ce mot si sec et si froid ! reprit madame de Hansfeld d’un ton de tendre reproche. — Vous ne voulez donc pas, décidément, m’appeler Antoinette, même pour m’adresser vos adieux ? Maurice, je vous en prie, accordez-moi cette grâce ! Dites-moi : « Adieu, Antoinette. »

— Adieu, Antoinette ! — répéta Maurice fasciné par sa tentatrice, sentant la chaleur du sang monter à son cerveau et troubler sa raison, tandis que madame de Hansfeld, le faisant rasseoir près d’elle :

— Combien j’aime à vous entendre prononcer mon nom ! combien me plaît le son de votre voix ! Elle est douce et mâle comme votre figure ! Mais vous baissez les yeux, Maurice. Je vous en prie, levez-les sur moi en prononçant mon nom ! Soyez indulgent pour ce caprice, ce sera le dernier, je vous l’assure. Voyons, dites : « Antoinette ! » en me regardant.

Maurice, éperdu, enivré, obéit. Ses yeux rencontrèrent les yeux noirs, avides et brûlants de madame de Hansfeld, penchée vers lui, si près de lui, qu’il sentit son souffle. Il éprouva une commotion profonde. Cette nature vierge, énergique, ardente, déjà bouleversée par les séductions de cette femme dangereuse, défaillit sous la violence de ces sensations fulgurantes ; une sueur froide baigna son front, il pâlit ; une invincible morbidezza l’alanguit, le brisa ; son esprit s’égarait, ses forces l’abandonnaient ; il balbutia d’une voix éteinte :

— Pardon, madame, je crois… que… je vais me trouver mal…

— Maurice, mon ami, vous m’inquiétez… Grand Dieu ! qu’avez-vous ?

— Je ne sais… il me semble que… je… je… vais mourir…

Maurice, les yeux demi clos, laissa tomber sa tête inerte sur l’un des coussins, n’ayant plus qu’à demi la perception de ce qui