Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jugé à propos de lui dévoiler les trésors de son cœur, de son caractère et de son intelligence ; aussi, posant à son fils une question qui devait, à ses yeux, l’aider à éclaircir les doutes qu’elle ressentait, elle lui dit :

— Le mari de cette belle dame assistait-il à votre conversation, mon ami ?

Cette question, que Maurice ne s’était pas faite à lui-même dans la promptitude de ses divers entraînements de l’après-dînée, lui causa une sorte de stupeur, puis le fit réfléchir, et, se demandant si, en effet, le baron était mort ou vivant, il lui parut singulier que, parmi tant de touchantes et cordiales confidences, Antoinette ne lui eût pas appris si elle était ou non veuve.

Absorbé par cette pensée soudaine, Maurice garda un silence de quelques instants, qui augmenta les soupçons de madame Dumirail.

Jeane, étant parvenue à vaincre ou plutôt à dissimuler ses émotions, revint près de son fiancé. Elle était pâle et, ainsi que lui, hélas ! déjà presque transfigurée ! La riante candeur de son visage angélique avait disparu devant une expression hautaine, sardonique, irritée ; le léger froncement de ses sourcils, le gonflement de ses narines roses, palpitantes comme son sein, le port altier, presque impérieux de sa tête, disaient assez combien sa fierté s’efforçait de se révolter contre les mortelles douleurs qu’elle se reprochait comme une lâcheté.

Madame Dumirail, très-étonnée du silence de son fils, lui dit :

— Je t’ai demandé, mon ami, si le mari de cette dame assistait à votre conversation ?

— Non, ma mère.

— Ordinairement, les acquisitions de propriétés sont cependant du ressort du mari ? Cette dame est veuve, apparemment ?

— Je n’en sais rien.

— Comment ! Maurice, — dit Jeane redoublant de sarcasme et sentant pourtant qu’elle s’engageait dans une voie de plus en plus funeste, — comment ! parmi les délicieux épanchements qui t’ont révélé les rares trésors de vertu que renferme le cœur de cette inestimable personne, rien n’a pu te faire deviner si elle était loyalement à son mari, ainsi que doit l’être toute honnête femme ?

— Tout ce que je sais, Jeane, et de ceci je réponds comme de moi-même, c’est que madame la baronne de Hansfeld, veuve ou non, n’a rien à envier à qui que ce soit pour les qualités de l’esprit et du cœur, — répondit presque aigrement Maurice, ne pouvant