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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/320

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Josette en aspirant la senteur de la lettre, qu’elle remit enfin à son jeune maître, lui disant :

— Voilà une lettre pour vous, monsieur Maurice ; c’est de la part du grand laquais poudré, galonné sur toutes les coutures, qui est déjà venu ce matin.

Maurice prit la lettre, la décacheta vivement, la lut, devint pourpre et parut indécis. La lettre était ainsi conçue :

« Mon cher Maurice, j’aurais deux mots à vous dire. Je vous attends dans ma voiture. De grâce, ne me refusez pas un entretien de cinq minutes : il s’agit pour moi d’un intérêt fort grave.

« Votre meilleure amie,

« A. de H. »

Madame Dumirail et Jeane échangèrent un coup d’œil expressif pendant que Maurice lisait le billet qu’il venait de recevoir, et bientôt, l’attention de la jeune fille étant attirée par le piaffement de l’attelage qui venait de s’arrêter devant l’hôtel des Étrangers, elle courut à la croisée qui s’ouvrait sur la rue, et aperçut, stationnaire, un élégant coupé, attelé de deux magnifiques chevaux splendidement harnachés.

Jeane avançait la tête en dehors, cédant à une curiosité remplie d’angoisse, lorsque, au même instant, madame de Hansfeld (à qui appartenait ce coupé), se penchant à la portière, leva les yeux vers l’entre-sol.

Les regards des deux femmes se rencontrèrent, et presque aussitôt Antoinette se retira dans le fond de sa voiture, tandis que Jeane, éblouie de la beauté de sa rivale, restait pétrifiée.

Elle fut rappelée à elle-même par un éclat de voix de madame Dumirail, s’écriant :

— Mon fils, quelle est cette lettre ?… Où vas-tu ?

— Ma mère, les lettres que je reçois ne concernent que moi, — répondit Maurice au moment où Jeane se retourna ; — je sors pour un moment, je serai bientôt de retour, je te l’assure.

— Il ment ! — s’écria Jeane éperdue de douleur, de désespoir ; — cette femme est là, dans sa voiture, à la porte, elle l’attend !

Et, s’adressant à son fiancé d’un ton solennel :

— Maurice, prenez garde ! tout est à jamais rompu entre nous… si…

— Il ne sortira pas ! Je le lui défends ! — s’écria madame Dumirail, cédant à l’espèce de panique dont Jeane lui donnait l’exemple. — Mon fils, je vous défends de sortir !