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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/322

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Maurice, ainsi engagé dans la voie qui conduit à leur perte tant de fils de famille, avait pris pour maîtresse une femme galante et contracté sa première dette usuraire.

La courtisane (de haut ou de bas étage) et l’usurier, ces deux types presque inséparables, se trouvent toujours comme deux symboles de ruine à l’entrée de cette voie fatale où, égarés par leurs passions, se précipitent aveuglément tant de jeunes gens.

Les uns, selon les circonstances ou la trempe de leur caractère, ne s’avancent dans cette route de perdition que pas à pas, timidement et par intermittences.

D’autres, au contraire, ainsi que Maurice, s’y élancent brusquement, de prime-saut et en plein, sans transition, emportés par la fougue de leur âge, de leur sang, et surtout subjugués, entraînés par l’irrésistible puissance de l’occasion.

Ajoutons que Jeane, en accablant madame de Hansfeld de sarcarmes mérités, avait aigri, irrité son fiancé, qui regarda dès lors Antoinette comme l’innocente victime d’injustes préventions.

Enfin, madame Dumirail, dans l’exagération de sa sollicitude maternelle, avait découragé, rebuté son fils en voulant lui imposer une sorte de claustration au milieu de Paris, et révolté son amour-propre en lui défendant d’aller rejoindre madame de Hansfeld, qui l’attendait devant la porte de l’hôtel. Il ne tint compte de l’ordre de sa mère, et se rendit auprès d’Antoinette ; celle-ci, au lieu de se borner à l’entrevue de quelques minutes qu’elle demandait à Maurice, le fit monter en voiture à ses côtés, le conduisit chez elle, sut exaspérer, exploiter avec une habile perfidie les colères du jeune homme contre sa mère et contre sa fiancée, se montra tendre, passionnée, folle d’amour…

On devine le reste.

Le caractère, les antécédents et surtout l’organisation de Maurice étant connus, on comprendra l’influence, pour ainsi dire physique, que prit soudain sur cette nature neuve, énergique, effervescente, une femme telle qu’Antoinette. L’attrait violent et grossier qu’elle lui inspirait ne ressemblait en rien à sa chaste passion pour sa fiancée, passion qui n’était pas d’ailleurs éteinte en lui ; mais il devait d’autant plus céder aux séductions de sa tentatrice, qu’elle différait en tout de Jeane, car il ne l’eût jamais délaissée pour aimer une autre jeune fille douée d’une candeur égale.

Telle est souvent la réaction du physique sur le moral, que l’ardent sensualisme dont Maurice subissait l’empire jetait le trou-