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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/340

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rice, pour le Morillon, et, grâce à Dieu, nous ne quitterons plus notre chère retraite ! Réjouis-toi, mon enfant.

— Ma mère, vous réjouissez fort peu mademoiselle Jeane en lui annonçant notre départ de Paris : elle serait ainsi trop privée du charme infini de ses entretiens et de ses tête-à-tête avec notre aimable cousin San-Privato, — reprit Maurice, pâle de rage et avec un accent d’ironie amère ; — or, comme il m’est impossible, à moi, de renoncer, de mon côté, au charme infini de mes entretiens et de mes tête-à-tête avec madame de Hansfeld, vous trouverez bon, ma mère, que, décidément, je reste à Paris.

— Maurice ! — s’écria madame Dumirail, suffoquée de stupeur, ne voulant pas croire à ce qu’elle entendait ; — que signifie… ?

— Cela signifie, ma tante, que Maurice n’a jamais eu sérieusement l’intention de retourner au Morillon, — reprit Jeane. — M. Maurice vous sacrifie… je ne parle pas de moi… il n’a plus, Dieu merci, le droit ou le pouvoir de me sacrifier à personne. M. Maurice vous sacrifie indignement, ma tante, à l’estimable créature que vous savez.

— Tais-toi, Jeane ; il n’y a qu’un instant, avant ta venue, Maurice était décidé à partir… Tu es un porte-malheur ! — s’écria madame Dumirail éperdue d’angoisse.

Puis, s’adressant à son fils, suppliante, désolée :

— Mon enfant, rappelle-toi ta promesse, rappelle-toi ce que je t’ai dit. Je ne pourrai longtemps résister à tant de secousses, à tant d’angoisses, je mourrai à petit feu… et, avant trois mois, tu conduiras mon cercueil au cimetière.

En ce moment, Albert San-Privato parut à la porte de la chambre, laissée ouverte par Jeane, et entra en disant à madame Dumirail :

— Je suis peut-être indiscret, ma chère tante ; mais, dans mon empressement à vous voir, je…

— Ah ! la vue de cet homme m’est affreuse, je ne pourrais rester maître de moi ! — s’écria Maurice exaspéré par la présence de son cousin.

Et il sortit précipitamment de la chambre, suivi de sa mère, qui, presque folle de douleur en voyant la ruine de ses dernières espérances, courut sur les pas de son fils, en criant :

— Maurice, Maurice ! écoute-moi !

Jeane et Albert restèrent seuls.