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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/347

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— Que dites-vous, ma tante ? — s’écria San-Privato frappé de stupeur ; — M. Charles Delmare est à Paris ?

— Oui ; guidé par son affection pour nous, et ne prévoyant que trop les dangers auxquels pouvait être exposé Maurice, il est venu à Paris dans l’espoir de nous être utile. Ah ! Jeane, tu avais raison, j’ai trop tardé à lui écrire.

— Et maintenant, à quoi bon cette démarche ? — reprit la jeune fille, qui, sans se rendre clairement compte de la cause de ce changement, redoutait presque la présence de son cher maître. — Où votre influence a échoué, ma tante, l’influence de M. Charles Delmare échouera.

— Mon Dieu, Jeane, tu n’as que de mauvais présages à annoncer ! — dit impatiemment madame Dumirail. — Il me reste une chance, je veux la tenter… Je vais prier M. Charles Delmare de passer ici sur-le-champ.

— Ah ! ma tante, gardez-vous-en bien ! — reprit San-Privato d’un ton mystérieux et pénétré ; — vous ne pouvez, vous ne devez plus avoir le moindre rapport avec M. Charles Delmare ?

— Pourquoi cela ?

— Je venais, hélas ! vous faire part d’une bien importante et bien triste découverte ; mais votre affliction, vos alarmes à l’égard de Maurice, m’ont distrait de ce que j’avais à vous apprendre au sujet de M. Delmare…

— Mais encore, de quoi s’agit-il ?

M. Delmare doit être désormais pour vous, ma tante, et surtout pour vous, Jeane, un objet d’éloignement, d’aversion invincible.

— Que dis-tu ? et quelle est la cause de cette aversion que nous devons avoir pour M. Delmare ?

San-Privato soupira, parut se recueillir un moment et reprit :

— Ma tante, vous savez quelle a été la fin tragique du père de Jeane, notre oncle Ernest ?

Et, s’interrompant à un geste expressif de madame Dumirail, qui lui imposait vivement silence, geste dont il feignit de ne pas comprendre la signification, San-Privato reprit :

— Plaît-il, ma tante ?

— Mon Dieu, — s’écria Jeane avec inquiétude, regardant tour à tour Albert et sa tante, — vous me cachez quelque chose !

— Quoi ! Jeane, tu ignorais que ton malheureux père, — reprit San-Privato affectant une surprise extrême.

Puis, se reprenant et s’adressant d’un air contrit à madame Dumirail :