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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/348

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— Ah ! ma tante, quelle fatale indiscrétion je viens de commettre sans le savoir !

— Quels souvenirs ! — murmura soudain Jeane en portant ses deux mains à son front. — Ma mère semblait toujours embarrassée, attristée, lorsque je lui parlais de mon père ; souvent elle ne répondait que par ses larmes. Ma tante, et vous, mon cousin, je vous le demande en grâce, ne me cachez rien ; quel est ce douloureux secret ?

— Jeane, ma pauvre enfant… à quoi bon ?

— Ah ! ne craignez rien, — reprit la jeune fille avec un sourire navrant ; — je suis aujourd’hui dans un jour de malheur !

— Aussi, chère enfant, je ne veux pas augmenter ton chagrin.

— Pourtant, ma tante, si pénible que soit cette révélation, — reprit San-Privato, — elle devient indispensable. N’allez-vous pas mander près de vous M. Charles Delmare ?

— Je n’ai plus d’espoir qu’en lui, en attendant l’arrivée de mon mari.

— Eh bien, je vous le répète, ma tante, il est maintenant impossible que vous receviez M. Charles Delmare ; tout se révolte en moi à la seule pensée de voir Jeane en présence de cet homme, maintenant que je sais…

— Achevez, Albert, — dit vivement Jeane, — achevez…

— Il le faut, malheureusement, le devoir m’y oblige. Apprenez donc la vérité. Vous le savez, ma tante, le père de Jeane est mort… tué en duel.

— Tel était donc le funeste secret que me cachait ma mère ! — reprit Jeane péniblement émue. — Ah ! je comprends maintenant la cause de son triste embarras, de ses larmes, lorsque je l’interrogeais sur mon père.

— Hélas ! oui telle a été sa fin tragique, pauvre enfant !

Puis, adressant un regard significatif à San-Privato, madame Dumirail ajouta :

— Cette triste fin a été d’autant plus déplorable, que la cause de ce duel était frivole.

La secrète pensée de madame Dumirail, en attribuant à une cause frivole le duel dont avait été victime le père de Jeane, était de cacher à celle-ci le déshonneur de sa mère. San-Privato, n’ayant actuellement aucun intérêt à révéler à Jeane ce que sa tante voulait lui dissimuler, reprit :

— Rien de plus frivole, en effet, que la cause de ce malheureux duel…