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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/349

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— Mais enfin, — demanda madame Dumirail, — quel rapport peut-il y avoir entre ce duel et M. Charles Delmare ?

— Quel rapport ? Ah ! ma pauvre cousine, du courage !…

— Achevez.

— Cet homme que vous appeliez votre cher maître, à qui vous témoigniez autant d’estime que d’affection, cet homme…

— Cet homme ?

— C’était, Jeane, le meurtrier de votre père !

— Grand Dieu ! — s’écria la jeune fille en frémissant. — Ah ! c’est affreux !… Oh ! l’affection que j’ai témoignée à cet homme me pèse, me pèsera toujours comme un remords !

— Mais c’est une erreur, — reprit vivement madame Dumirail ; — mon beau-frère a été tué en duel par un étranger, par un peintre allemand nommé Wagner.

— Sans doute, ma tante, mais ce prétendu Wagner n’était autre que M. Charles Delmare. Il avait alors pris ce faux nom à propos de je ne sais plus quelle intrigue amoureuse.

— Est-il possible ! — reprit madame Dumirail abasourdie ; — es-tu bien certain, Albert, de ce que tu avances ?

— Je l’affirme.

— Cependant cela me semble à peine croyable, — reprit madame Dumirail d’un air de doute. — Quoi ! M. Delmare, ayant la conscience chargée du remords de ce meurtre… le meurtre du frère de mon mari… et, qui pis est… du père de Jeane, aurait osé s’introduire chez nous, vivre dans notre intimité, sans qu’à chaque instant le souvenir de sa victime s’offrît à sa pensée ? Non, non, c’est impossible !… M. Delmare est l’honneur, la loyauté même ; il est incapable d’une pareille hypocrisie, elle serait horrible !

— Horrible ! — reprit Jeane en tressaillant. — Lui, lui… le meurtrier de mon père… Ah ! cette hypocrisie redouble l’aversion, l’effroi que m’inspire maintenant cet homme !

— Mais, encore une fois, Albert, as-tu la preuve de ce que tu affirmes ? — reprit madame Dumirail ; — une preuve évidente, palpable ?

— Ma tante, la circonstance est trop grave pour que je veuille laisser subsister l’ombre d’un doute dans votre esprit. Or, je ne pense pas que ce doute persiste si M. Charles Delmare vous avoue lui-même qu’il a tué en duel notre oncle Ernest Dumirail.

— Certes… un pareil aveu détruirait tous les doutes.

— Cet aveu, ma tante, il le fera.

— Mais comment ?

— Vous êtes certaine que M. Delmare est à Paris ?