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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/376

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— En effet, ma cousine, — reprit en ricanant San-Privato, — vous l’avez traité avec trop de rudesse, ce malheureux enfant de cinq pieds dix pouces ! Vous n’avez pas eu le tact assez délicat envers cet intéressant hercule, capable de tuer un bœuf d’un coup de poing.

— Oui, c’est moi que l’on accuse, — ajouta Jeane avec un redoublement d’amertume ; — c’est ma faute si Maurice a été assez ingrat pour oublier tant de preuves de mon amour ! assez lâche pour ne pas résister à une séduction ignoble ! assez vil pour placer si bas son affection ! assez niais pour être dupe d’une aventurière !

— Maudite soyez-vous ! — s’écria madame Dumirail, exaspérée par ces reproches de la jeune fille ; — vous avez causé tout le mal… C’est par ambition pour vous que mon fils a voulu venir à Paris, afin d’y suivre une brillante carrière.

— Un pareil reproche à moi, madame, lorsque votre mari m’a menacée de rompre nos fiançailles, de me renvoyer de votre maison, si je combattais les idées ambitieuses qu’il suggérait à son fils ! Mais, tenez, ne récriminons pas sur le passé : si pénible qu’il soit pour moi, le présent l’efface encore, grâce à l’horrible nécessité à laquelle vous voulez m’obliger ; mais il est des concessions qu’aucune puissance humaine ne m’arrachera jamais, Ainsi, madame, prenez garde !

— Des menaces, mademoiselle ?

— Non, madame, un avertissement.

— Qu’est-ce à dire ?

— Je veux dire, madame, que je ne resterais pas une heure dans une maison où je serais exposée chaque jour à me trouver face à face avec le meurtrier de mon père.

— Bien, ― dit tout bas San-Privato à la jeune fille, — ferme !… Allez jusqu’au bout.

— En un mot, — reprit Jeane, — je vous déclare, madame, que, si M. Delmare remet les pieds chez vous, je sortirai d’ici pour n’y plus revenir.

— Comment ! il ne me sera pas permis de recevoir chez moi qui bon me semble ?

— Vous recevrez qui vous voudrez, madame ; mais il me sera permis, à moi, de sortir de chez vous. Et, d’ailleurs, la rupture de nos fiançailles avec votre fils, les reproches si blessants que vous m’avez adressés ce matin, les récriminations qui s’élèveraient sans cesse entre nous, nous rendraient la vie commune intolérable.

— Ainsi, mademoiselle, vous m’imposez une alternative ?