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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/375

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parenté, — répondit sévèrement madame Dumirail à San-Privato. — Ceci s’adresse à vous, mon neveu.

— Je n’avais nullement lieu de le soupçonner, ma tante.

— Est-ce l’intérêt que me porte Albert qui lui mérite de si dures et de si injustes offenses ? — reprit Jeane. — Est-il en butte à votre animadversion, ma tante, parce qu’il a seul, ici, conscience et horreur de l’odieuse nécessité à laquelle vous prétendez me réduire ?

L’accent hautain, amer, presque insolent de la jeune fille, la parfaite entente qui semblait exister entre elle et son cousin, irritèrent madame Dumirail, ravivèrent le souvenir de ses griefs contre sa nièce, et, oubliant déjà les recommandations de Charles Delmare, elle reprit d’un ton de récrimination :

— Jeane, vous devriez vous montrer moins arrogante…

— J’ai beaucoup enduré jusqu’ici sans me plaindre ; mais, je l’avoue, ma tante, la résignation a ses bornes…

— Des reproches, mademoiselle ! — reprit vivement madame Dumirail. — N’oubliez pas que ce serait à vous de les endurer !

— Vous ne m’avez pas épargné cette cruelle humiliation, et, ce matin, vous ne m’avez que trop durement rappelé les services que vous m’avez rendus.

— Mademoiselle ! — s’écria madame Dumirail, — c’est votre ingratitude qui vous a valu ces reproches !

— Moi, ingrate ? Ah ! madame, quoi que vous fassiez, vous ne parviendrez jamais à éteindre la reconnaissance dans mon cœur ; mais la reconnaissance a sa dignité. Si vous l’ignorez, je vous plains.

— Votre reconnaissance ! — reprit madame Dumirail ; — et comment, ce matin encore, l’avez-vous prouvée ? En poussant Maurice au désespoir, au lieu de l’encourager dans les bonnes résolutions.

— Suis-je donc destinée, madame, à subir tour à tour, au gré de son caprice, l’affection ou les dédains de votre fils ? — dit orgueilleusement Jeane ; — dois-je donc m’estimer trop heureuse lorsqu’il daigne me pardonner l’outrage et le mal qu’il m’a faits ?

— Vous avez, mademoiselle, perdu le droit d’accuser mon fils ; car, si vous l’aviez aimé comme il méritait de l’être, vous l’eussiez ramené à vous par la douceur, par la résignation ; mais non, c’est la jalousie au cœur, le sarcasme à la bouche, la colère dans les yeux, que vous l’avez accueilli, lorsqu’ensuite d’un moment d’égarement il revenait à vous, ce malheureux enfant !