Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/382

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tait seulement en lui la conscience du bonheur dont il jouissait en ce moment, à savoir : de posséder pour maîtresse l’une des plus jolies femmes de Paris ; de n’avoir rien à envier à l’élégance des coryphées de la jeunesse dorée ; d’être de prime-saut accueilli parmi elles avec une aimable courtoisie ; enfin, de penser que ce joyeux souper n’était que l’inauguration d’une vie de plaisir et d’amour, complétée par les raffinements de l’élégance et du luxe, grâce aux nouveaux emprunts usuraires qu’il se promettait de contracter.

Le jeune montagnard écoutait avec une avide curiosité l’entretien suivant, auquel son ignorance des personnes et des choses ne lui permettait pas de prendre part, mais qui offrait un fidèle spécimen de l’existence de la fashion parisienne à cette époque :

— Vous savez que Raoul a perdu deux mille louis au lansquenet ?

— Il le pouvait d’autant mieux qu’il en avait gagné trois mille sur Old-Nik, favori des dernières courses de Chantilly.

— À propos de ces dernières courses, savez-vous que Saint-Alphonse et ses amis, tous gris comme des templiers, sont allés, au milieu de la nuit et bien munis de fusées, de pétards, d’échelles, faire le siége en règle de la maison louée par Mareuil pour la huitaine des courses ?

— Je le sais si bien, que je comptais parmi les assiégés ! Notre défense a été héroïque ! Nous avons jeté la vaisselle, les tables et les chaises par les fenêtres ; mais, une fusée des assiégeants ayant mis le feu au grenier de notre maison, ils ont profité du tumulte pour enfoncer la porte, briser les fenêtres… et la place a été obligée de se rendre.

— Et les frais de la guerre, qui les a payés ?

— Les deux généraux en chef : Mareuil et Saint-Alphonse. Ils en ont été quittes pour une centaine de louis d’indemnité, accordés au propriétaire.

— Quelle amusante folie ! — pensait Maurice. — Mais patience ! Les courses de Chantilly ont lieu tous les ans ! Et je serai l’un des héros du siége, l’an prochain !

— En parlant de Mareuil, avez-vous vu le ravissant petit hôtel qu’il a donné à Carabine ?

— À quelle Carabine ? à celle qui a les yeux noirs, les cheveux blonds et une si jolie taille ?

— Nécessairement… C’est la seule vraie Carabine ; les autres sont des contrefaçons.