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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/397

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regrette, pauvre amie, que tu te sois si douloureusement affectée, tourmentée de quelques fredaines de jeunesse.

Ces paroles de son mari exprimaient un sentiment si incroyablement contraire à celui qu’elle attendait, que madame Dumirail resta un moment suffoquée par la stupeur, ne pouvant croire à ce qu’elle entendait. Son ébahissement fut remarqué de M. Dumirail. Il sourit et reprit :

— Mon indulgence t’étonne d’autant plus, ma chère amie, que tu t’attendais à me trouver d’une sévérité outrée, n’est-ce pas ?

— Je t’avoue, — balbutia madame Dumirail, — que ta manière d’envisager les choses me confond.

— C’est tout simple : tu es mère, tu es femme, tu dois voir certaines choses à un point de vue tout différent du mien.

— Comment, mon ami, — articula madame Dumirail avec effort, — la conduite de Maurice ?…

— Est blâmable sans doute sous plusieurs rapports ; mais enfin, entre nous…

— Achève.

— Franchement, chère amie, nous n’avons jamais voulu faire de notre fils un moine.

L’affectation d’insouciance de M. Dumirail, au sujet d’actes véritablement répréhensibles, était tellement en désaccord avec la rigidité habituelle de ses principes et la gravité de son caractère, il témoignait d’un si visible embarras de la légèreté avec laquelle il s’exprimait sur un sujet sérieux à tant de titres, que madame Dumirail chercha le secret motif de l’apparent optimisme de son mari, et bientôt, presque certaine de l’avoir pénétré, elle frémit, en proie aux plus vives appréhensions. Elle tâcha cependant de les combattre, conservant une lueur d’espoir, voulant croire encore que sa pénétration pouvait s’être égarée. Le silence qu’elle gardait, la profonde inquiétude empreinte sur son visage, déjà altéré par le chagrin, parurent augmenter l’embarras de M. Dumirail, et, baissant les yeux devant le regard de sa femme, il sembla regretter la légèreté de ses dernières paroles et reprit d’un ton plus grave :

— Quand je dis, ma chère Julie, que nous ne voulons pas faire de notre fils un moine, je n’entends nullement excuser ce qu’il y a de blâmable dans sa conduite.

— Je le crois, mon ami, car une pareille tolérance me semblerait plus alarmante peut-être que l’inconduite de Maurice.

— Je ne pousserai jamais l’indulgence jusqu’à une coupable faiblesse, tu dois en être assurée ; mais il résulte de tes révélations