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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/399

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― Tu n’as pas été, en cette circonstance, plus raisonnable que notre nièce, ma pauvre Julie.

— Quoi ! mon fils reste absent pendant la nuit, et…

— Tout à l’heure, te dis-je, nous parlerons de Maurice ; mais si je comprends les larmes d’une mère aussi tendre et aussi sensible que tu l’es, je n’admets pas qu’une jeune personne modeste, bien élevée, se permette d’afficher des exagérations de jalousie de la dernière inconvenance, en cela qu’elles prouvent que mademoiselle Jeane est beaucoup plus instruite de certaines choses qu’elle ne semble l’être.

— Je te le répète, mon ami, j’ai sévèrement blâmé la conduite de Jeane ; mais sa jalousie n’était nullement affectée, elle était sincère… Hélas ! quand on aime…

— Ma chère amie, quand on aime, l’on aime en jeune personne réservée, contenue et non en forcenée ayant toujours le sarcasme ou la menace à la bouche. Enfin, n’est-ce pas mademoiselle Jeane qui, lorsque notre fils voulait quitter Paris, cédant à un sentiment de repentir louable en soi, mais très-déraisonnable dans son application…

— Que veux-tu dire, mon ami ?

— Nous reviendrons bientôt là —dessus… En un mot, dis-je, n’est-ce pas notre nièce qui, par son insolence, sa hauteur et ses coquetteries effrontées envers son cousin Albert, a poussé Maurice à bout !

— Sans doute ; mais…

— Ne t’a-t-elle pas ensuite répondu insolemment que tu lui reprochais, d’une façon humiliante pour elle, les soins que nous avions pris de sa jeunesse ? Et enfin, pour couronner l’œuvre, n’a-t-elle pas eu l’audace et l’abominable ingratitude de t’abandonner, malgré ta défense, et de s’en aller avec notre neveu chercher, dit-elle, un asile chez ma sœur ?

— Oui ; mais, je l’avoue, en retrouvant mon sang-froid, j’ai regretté d’avoir provoqué le départ de Jeane par l’amertume et peut-être par l’injustice de mes récriminations contre elle ; car, enfin, je t’ai fait part de ce triste secret : M. Delmare…

— Ah !… — reprit M. Dumirail, de qui les traits se contractèrent et prirent soudain une expression sinistre, — quand je songe que, pendant trois ans, chaque jour, j’ai serré dans la mienne la main de cet homme, sa main rougie du sang de mon pauvre Ernest ; quand je songe à l’odieuse hypocrisie de ce Delmare qui vivait sans remords dans notre intimité : malédiction ! Fasse le ciel que je ne rencontre pas ce misérable à Paris, puisqu’il y est