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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/406

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montagnes, d’où il n’aurait jamais dû sortir. Reconnais donc ton ambitieuse erreur, mon pauvre frère, ton bon gros paysan de Maurice est né pour engraisser des bœufs et des porcs, voilà sa véritable vocation ; qu’il la suive, et ne prétende plus égaler mon Albert… » Oui, — ajouta M. Dumirail s’exaspérant à ses propres paroles, — oui, telles seraient les impertinentes réflexions de ma sœur, et vous feriez sans doute chorus avec elle !

— J’ai toujours pensé, vous le savez, mon ami, que notre fils, pour son bonheur, ne devait jamais quitter le Morillon ; s’il en eût été de la sorte, il ne nous aurait pas causé les chagrins qu’il nous cause, chagrins que vous craignez d’avouer à vous-même et aux autres !

— Oui, madame, parce qu’il est, pour mille raisons, déplorable d’ébruiter certains chagrins de famille, et la dernière personne à qui vous eussiez dû parler de vos griefs contre Maurice, était son cousin Albert. Aussi, nous verrons demain arriver ma sœur, venant nous gratifier de ses condoléances sur les désordres de notre fils, que vous avez divulgués, exagérés, au lieu de les pallier, de les atténuer, de les nier au besoin. Oui, madame, les nier ! et au besoin l’excuser ou le défendre envers et contre tous, ainsi que doit faire une mère jalouse de la bonne renommée de son fils.

— S’il la méritait, j’en serais plus jalouse, plus orgueilleuse que personne ; mais, grâce à Dieu ! je ne confonds pas un légitime orgueil avec un amour-propre aveugle et obstiné.

— Madame !

— Eh ! monsieur, n’est-ce pas par amour-propre que vous craignez d’avouer à M. de Morainville votre erreur sur la vocation de votre fils ? n’est-ce pas par amour-propre que vous tolérez ses fautes, parce qu’elles sont les conséquences de ce voyage voulu par vous ? enfin, n’est-ce pas par amour-propre que vous excuseriez et défendriez votre fils envers et contre tous ? Ah ! monsieur, fasse le ciel que ce malheureux enfant ne vous ait pas pour complice de sa perte !

— Vous voulez donc, madame, renouveler ici les discussions irritantes du Morillon ?

— Est-ce donc ma faute, à moi, si vous renouvelez, si vous augmentez mes craintes ? Tenez, monsieur, vous êtes impardonnable ! Maurice a du moins pour excuse l’entraînement, l’inexpérience de son âge, tandis que, vous, c’est par un froid et funeste orgueil que vous ferez notre malheur à tous !…

— Madame, madame, la patience a des bornes ; prenez garde !