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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/43

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demain ce qu’elle est aujourd’hui. Cette existence heureusement exempte d’écueils lui suffit, plaît à ses goûts, les satisfait ; il n’en désire pas connaître d’autre. Enfant de nos montagnes, — me disait-il encore ce matin, — je veux y vivre et mourir… » Vous devez vous féliciter de cet attachement passionné au sol natal… l’encourager de tout votre pouvoir, car il n’entre pas, que je sache, dans vos projets de vous séparer de Maurice, de le faire voyager ?

— Non, certes ! — dit vivement madame Dumirail ; — je serais trop inquiète de savoir mon fils éloigné de nous !

— Cette inquiétude, je la partagerais, madame… Ainsi donc, selon toute probabilité, Maurice ne vous ayant jamais quittés, sera, dans quatre ou cinq ans, ce qu’il est aujourd’hui : rempli de tendresse et de vénération pour vous, essentiellement bon et généreux, ingénu, docile, ardent au bien, ignorant le mal et confiant comme toutes les âmes pures et droites… en un mot, plus que personne, capable d’assurer le bonheur de Jeane… Or, si vous admettez ceci, madame, qu’aurez-vous gagné à retarder ce mariage de plusieurs années ?

Madame Dumirail, frappée de la justesse de ce raisonnement, réfléchit, puis reprit :

— Je l’avoue… Si les qualités qui nous rendent mon fils si cher, loin de s’altérer, se raffermissaient encore… le retard du mariage de ces enfants n’aurait d’autre résultat que d’ajourner de quelques années leur bonheur.

— Et il en serait ainsi, ma chère Julie… car enfin je suppose… ce que je ne crois point… que notre fils soit assez faible pour faillir devant l’occasion ? Où est le danger, s’il ne rencontre pas cette occasion ?

— Que sais-je, mon ami !… un hasard ne peut-il pas la faire naître, même dans notre solitude ?

— Savez-vous, madame, ce qui pourrait amener presque fatalement pour Maurice l’occasion de faillir ? — dit gravement Charles Delmare. — Ce ne serait pas le hasard… mais un trop long délai apporté au mariage de ces deux enfants.

— Que voulez-vous dire, mon cher monsieur Delmare ?

— Je vais aborder, madame, un sujet d’une extrême délicatesse… mais, dans les conjonctures où nous sommes, l’on doit tout dire… tout prévoir…

— Parlez, de grâce…

— Le cœur de Maurice s’est éveillé… il ressent maintenant pour Jeane de l’amour… Ce sentiment prendra sur lui un violent et croissant empire ; il aura bientôt tous les caractères d’une ar-