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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/44

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dente passion : il n’est pas de ces hommes qui peuvent aimer froidement, patiemment. Aussi, songez à sa douloureuse impatience s’il voyait beaucoup retarder l’époque de son mariage… Puis il ne s’agit pas seulement de Maurice, il aime… il est aimé enfin !… et j’ose à peine achever… rien n’est plus contagieux que l’effervescence d’un sentiment partagé… Moins que personne, je ne mets en doute les vertus de Jeane et l’honneur de Maurice ; mais ils sʼaiment, madame… ils s’aimeront de jour en jour davantage ; ils sauront que, dans quelques années, ils doivent être unis… les entraînements d’un premier amour sont souvent irrésistibles. Car, ne vous y trompez pas et croyez à la sûreté de mes observations, Jeane, malgré sa candeur, malgré son enjouement, est… d’une nature aussi ardente, aussi impétueuse que Maurice, quoique très-contenue par son éducation et par la réserve de son sexe… Ainsi ces deux enfants, passionnément épris l’un de l’autre, continueront de vivre dans une intimité de tous les instants… au fond de cette retraite… puis l’innocence est aveugle, a-t-on dit… cet aveuglement peut les précipiter à leur perte… ne tremblez-vous pas qu’un jour… ?

Et, s’interrompant, Charles Delmare ajoute avec émotion :

— Ah ! vous tressaillez, madame… vous m’avez compris… vous partagez mes craintes ?…

— Je l’avoue… monsieur Delmare… jusqu’à présent, ces appréhensions ne s’étaient pas présentées à mon esprit…

— Moi, je les ressentais, — ajouta M. Dumirail ; — cette cause, et d’autres encore, me faisaient désirer de hâter l’époque de ce mariage.

— Ce n’est pas tout encore, — reprit Charles Delmare, — et j’hésiterais à poursuivre, si je ne savais qu’une mère telle que vous, madame, peut et doit tout entendre, lorsqu’il s’agit de son fils… Je veux que l’honneur de Maurice domine l’impétuosité de sa passion ou que l’innocence de Jeane l’impose à ce point, qu’il se résigne au lointain ajournement de ses espérances ; mais, hélas ! madame, l’homme, surtout à vingt ans, n’est pas un pur esprit… et dans une organisation aussi puissante que celle de Maurice… le cœur n’est pas seul à s’éveiller…

— Votre pensée n’est que trop juste, mon ami, — reprit M. Dumirail ; — heureusement, la retraite où nous vivons et la délicatesse native de l’âme de Maurice, l’ont préservé, grâce à Dieu, d’une corruption précoce…

— Je le sais ; mais, songez-y, du moment où la passion et ses chaleureux ferments bouillonneront en lui… le calme de son ado-