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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/438

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— Erreur, mon enfant, profonde erreur !

— Voyons, cher maître, soyez de bonne foi : quel goût voulez-vous que l’on trouve au laitage lorsque l’on a le palais habitué à l’excitation des épices ? Mieux que personne, vous me connaissez, oui, vous me connaissez si bien que, prévoyant ce qui se passe aujourd’hui, vous avez tout tenté pour empêcher mon père de m’envoyer à Paris.

— Il est vrai ; aussi ferai-je tous mes efforts afin de vous faire quitter Paris c’est logique.

— Très-logique, selon vous, cher maître, non pas selon moi. Franchement, pensez-vous qu’à mon âge, et trempé comme je le suis, je renoncerai maintenant à l’enivrement des plaisirs de Paris, pour aller m’enterrer au Morillon ? Non ! il est trop tard, il est trop tard ! Il ne fallait pas m’exposer aux tentations, il fallait me laisser épouser Jeane.

Et, tressaillant (Maurice, nous le répétons, ignorait encore, ainsi que Charles Delmare, que la jeune fille était, depuis la veille, allée demeurer chez madame San-Privato), Maurice ajouta :

— Si je suis perdu, Jeane aura causé ma perte.

— Jeane !… Et comment cela ?

— Cédant aux prières, aux larmes de ma mère et je ne sais à quelles puériles appréhensions, j’avais consenti à quitter Paris, espérant oublier ses enivrements dans l’amour de Jeane, obtenir, mériter le pardon de mon inconstance.

— Qui vous a empêché d’accomplir cette excellente résolution ?

— Les sanglants dédains de Jeane, qui, en ce moment où je revenais à elle comme à ma dernière chance de salut, m’a accueilli en me faisant l’éloge le plus outré, le plus passionné de mon cousin San-Privato…

— Ah ! j’en jurerais, mon enfant, les paroles de Jeane n’étaient pas sincères ; non, elle voulait seulement se venger de votre infidélité.

— Il n’importe, sincères ou non, ces paroles ont fait soudain s’évanouir ma bonne résolution et porté un coup mortel à mon amour. Mais non, en disant mortel, je mens… Ma confession doit être complète, cher maître.

— Achevez.

— Eh bien ! je l’avoue à ma honte, malgré ses mépris, malgré son penchant pour Albert, j’aime encore Jeane.

— Je vous crois, cher enfant, je suis mille fois heureux de vous croire : cet amour vous sauvera tous deux.

— Encore une fois, il est trop tard, cher maître ; mais, quoi