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XII

M. Dumirail, ensuite de son entretien avec Charles Delmare au sujet du duel de Maurice et de M. d’Otremont, s’était empressé de se rendre auprès de madame Dumirail. Celle-ci le mandait près d’elle, afin de s’informer des nouvelles de leur fils, très-inquiète de la crise nerveuse dont il avait été atteint durant la nuit. Profitant de la circonstance que lui offrait le désir de sa femme, M. Dumirail, ensuite de mille anxiétés nouvelles, résolu de s’opposer au duel dont il redoutait l’issue, malgré les paroles rassurantes de Charles Delmare, se rendit dans la chambre de son fils ; mais déjà celui-ci avait quitté la maison, en compagnie de son mentor.

M. Dumirail, bourrelé d’angoisses qu’il s’efforça de dissimuler à sa femme, retourna près d’elle et lui persuada que Maurice dormait encore d’un sommeil profond, quoiqu’il fût midi passé ; madame Dumirail, trop affaiblie pour abandonner son lit, s’adossait à son oreiller, la tête ceinte d’un bandeau. Son extrême pâleur rendait plus touchante encore l’expression de ses traits vénérables. L’une de ses mains reposait entre celles de son mari, qui, oubliant leurs discords au sujet de leur fils, ou plutôt se repentant cruellement de les avoir soulevés, la contemplait avec un mélange de tendresse et de vénération, lui disant :

— Tu étais sage, prévoyante, comme doit l’être la meilleure des mères !… moi, j’étais fou, j’étais aveugle ; maintenant, mes yeux sont ouverts, je frémis en songeant aux malheurs qui devaient résulter de mon aberration d’esprit ; cependant, tes avertissements sévères ne m’avaient pas manqué ; tiens, amie, à cette heure, où ma raison a repris son empire, je me demande sincèrement si, de même qu’il existe des maladies physiques, il n’existe pas aussi des maladies morales dont les esprits sensés ne sont pas eux-mêmes à l’abri. Je ne saurais autrement expliquer mon accès de déraison, heureusement passé, à tout jamais guéri ! Encore une fois, pardon, chère et excellente Julie, pardon des chagrins que je t’ai causés.