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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/457

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les causer ; ne crains donc rien, puisque je te promets de me bien conduire.

— Mais cette promesse, tu ne pourras la tenir, malheureux enfant ! — reprit en pleurant madame Dumirail, voyant la pensée de sa mort laisser son fils insensible, et commençant dès lors à désespérer de lui ; — ta promesse, tu ne la tiendras pas, tu es trop faible ! Non-seulement tu nous échappes, mais tu ne t’appartiens plus à toi-même. J’ai bien compris ce que tu voulais dire en parlant d’affection autre que la nôtre : tu voulais parler de ta madame de Hansfeld, de cette horrible créature qui te domine, fait de toi ce qu’elle veut et nous fera tous mourir de chagrin, moi la première ! entends-tu, Maurice, moi la première ! Peut-être te consoleras-tu bien vite de ma mort ; mais cette indigne femme aura…

— De grâce, ma mère, assez sur ce sujet…

— Non, ce n’est pas assez ! — s’écria M. Dumirail d’une voix éclatante et ne pouvant contenir davantage sa douloureuse indignation ; — non, ce n’est pas assez, misérable fou ! dupe aveugle ! stupide victime ! Savez-vous ce que cette femme attendait de ce duel qui a trompé ses sinistres espérances ?… Elle attendait votre mort.

— Ma mort ?

— Savez-vous ce que c’est que cette prétendue baronne ?… C’est une vile courtisane !

— C’est faux, mon père, c’est faux ! madame de Hansfeld…

— Est entretenue par l’ambassadeur de Naples ! — reprit M. Dumirail dominant la voix de son fils ; — et, de plus, cette femme est la maîtresse de San-Privato !

— Antoinette ! — s’écria Maurice accablé par ces révélations successives, qui confirmaient ses vagues et récents soupçons, un moment oubliés.

Puis il répéta, en proie à une sorte de vertige, de rage et de terreur :

— Antoinette ! maîtresse d’Albert ?

— Oui, malheureuse dupe ! Apprenez donc que cette femme, qui vous poussait à ce duel où vous deviez être tué, était l’instrument de votre cousin San-Privato ; après vous, il devenait l’héritier de nos biens. Comprenez-vous maintenant ?

— Mon Dieu ! — murmura Maurice portant à son front ses poings crispés, — il me semble que je deviens fou…

— Mon ami, prends garde, — dit à voix basse madame Dumirail à son mari, effrayée du douloureux abattement de Maurice,