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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/458

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— prends garde !… ne l’accable pas ainsi coup sur coup…

— Ne crains rien, la leçon sera terrible, mais salutaire, — répondit à demi-voix M. Dumirail.

Et il ajouta tout haut :

— Sachez donc toute la vérité, insensé que vous êtes ! alors vous tremblerez, alors vous vous repentirez. La vérité, la voici : M. Delmare, jadis l’ami intime de M. d’Otremont, est allé ce matin le trouver ; il lui a dévoilé la trame dont vous deviez être victime. Votre adversaire, révolté du rôle odieux qu’il jouait à son insu dans cette sanglante machination, a promis à M. Delmare de ménager votre vie ; il a tenu parole ! Voilà pourquoi il s’est contenté de vous désarmer deux fois, au lieu de vous tuer.

— Je suis anéanti ! Impossible de nier l’évidence, elle m’écrase, malheur à moi ! Oh ! Antoinette, Antoinette, c’est horrible, c’est infâme ! tout me manque à la fois, mon cœur se brise. Oh ! que je souffre ! — balbutia Maurice vaincu par l’émotion, par la douleur.

Il chancela, tomba dans un fauteuil, cacha son visage entre ses mains, tandis qu’échangeant avec sa femme un regard de suprême espoir, M. Dumirail reprenait d’un ton moins sévère :

— Voilà donc, malheureux enfant, voilà donc la femme à qui vous avez sacrifié votre fiancée, à qui vous avez sacrifié votre mère, votre père, votre avenir ! Voilà donc la femme qui, seule, vous retient à Paris et pour laquelle vous avez sans doute contracté des dettes usuraires. Oui, pour cette courtisane qui, dans une nuit d’orgie, vous provoquait à un duel où vous deviez trouver la mort, vous voulez…

M. Dumirail s’interrompit soudain à l’aspect effrayant de Maurice, qui, bondissant du siége où il venait de tomber anéanti, abaissa ses mains qui cachaient son visage, alors d’une pâleur livide, sillonné de larmes et empreint d’une telle expression de rage, de haine et d’ardeur de vengeance, que, le voyant se diriger vers la porte, M. Dumirail, cédant à un mouvement instinctif, s’élança et, barrant le passage à son fils, il lui dit :

— Où allez-vous ?

— Où je vais ? — reprit Maurice, presque égaré, poussant un éclat de rire féroce. — Ah ! ah ! ah ! où je vais ! Je vais rendre une petite visite à cette chère Antoinette, à ce cher Albert. Ils voulaient du sang, il y aura du sang !

— Mon fils, vous ne sortirez pas ! — reprit M. Dumirail, épouvanté des paroles et de l’expression des traits de Maurice, et lui barrant toujours le passage, tandis que madame Dumirail, éper-