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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/460

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pouvait être prévenue par M. Dumirail. Il reste stupéfait ; bientôt il est rappelé à lui par un gémissement douloureux de madame Dumirail, qui, brisée par de si vives émotions, perdait connaissance en murmurant :

— Notre fils n’a plus la tête à lui. Il est capable de vouloir tuer cette femme et Albert ; malheur à nous ! M. Delmare l’a prédit… Nous serons punis dans notre fils ; à tant de chagrins je ne survivrai pas !

— Josette, Josette !… — crie M. Dumirail, appelant la servante et sonnant à tout rompre. — Courez chercher le médecin, ma femme se trouve mal…


XV

Madame de Hansfeld était seule dans son boudoir ; ses traits charmants, alors assombris, exprimaient une angoisse profonde ; ses larmes, doublant l’éclat de ses grands yeux noirs, coulaient lentement sur ses joues pâlies, et elle se disait :

— Pour la première fois, la jalousie m’a mordu au cœur ! Oui, lorsque, hier, San-Privato triomphant me racontait ses espérances, que dis-je ? la certitude de son succès, mon Dieu, combien j’ai souffert ! Pourvu qu’il n’ait pas deviné ma douleur. Il me mépriserait ! Je ne serais plus à ses yeux la femme forte qu’il me croit, la femme dévouée jusqu’au meurtre, s’il l’ordonnait ! Quelle est donc l’infernale puissance de cet homme ? Comment s’est-il emparé de moi-même, à ce point que sa volonté s’est substituée à la mienne, son être au mien ?… Je ne pense, je n’agis, je ne vis plus que par lui et pour lui ! De cette domination effrayante, quelle est la cause ?… Quelle est la cause ? Ah ! je le sens : c’est la crainte de me voir délaissée par San-Privato ! Dieu me damne ! il lui suffirait, je crois, de cette menace : « Tu ne me verras plus ! » pour me rendre parricide, si j’avais mon père ou ma mère. Il rougit de son amour pour moi, il le nie hautement, exige que nous paraissions étrangers l’un à l’autre. Tant d’humiliations me navrent ; mais j’obéis… Il m’a dit : « Provoque, séduis ce niais