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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/462

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— Mon cœur se brise ! mon cœur se brise !

Et, de nouveau, ses larmes inondaient ses joues, lorsque, soudain, elle prête l’oreille à un bruit de pas précipités, amortis par l’épaisseur des tapis. La porte de son boudoir s’ouvre violemment, et Maurice apparaît aux yeux d’Antoinette. Maurice, livide, les traits bouleversés par la rage et par la haine, s’arrêta au seuil du boudoir de madame de Hansfeld, et s’écria d’une voix strangulée :

— Infâme, j’étais ton jouet, ta victime ! Tu voulais me faire tuer !…

— Maurice !… Il vit… je le revois !… Séchez-vous, mes pleurs ! Soyez béni, mon Dieu !… s’écria Antoinette, feignant de n’avoir pas entendu les paroles écrasantes du jeune homme ; et, tombant agenouillée sur le tapis d’hermine de son boudoir, dans une attitude de prière, elle joignit les mains en levant vers le plafond son adorable visage, pâli par la douleur et ruisselant de larmes. Puis, d’un bond, s’élançant au cou de Maurice, elle le serra dans ses bras, et d’une voix entrecoupée de sanglots de joie :

— Maurice ! mon intrépide amant ! mon héros ! toi qui t’es vaillamment battu pour moi, te voilà, je t’ai près de moi, je n’ai plus peur de mourir, car je ne t’aurais pas survécu… va !… Mais te voilà, c’est toi ! Pardonne mes larmes, pardonne ma pâleur ; vois comme je suis pâle, bien pâle, n’est-ce pas ? Peut-être tu me trouves enlaidie par le chagrin ? Hélas ! ce n’est pas ma faute, mon Dieu ! Si tu savais, j’ai tant pleuré depuis cette nuit, tant pleuré depuis que je suis revenue ici à moitié folle, la tête perdue de frayeur et…

Madame de Hansfeld s’interrompt, porte ses mains à son front comme si la joie lui causait un moment d’égarement, et elle ajoute, en se détachant des bras de Maurice et le contemplant d’un œil hagard :

— Maurice, tu restes muet, effrayant. Est-ce toi… dis, mon amant… est-ce toi ? Si ce n’est toi, c’est donc ton spectre ? Cette figure livide, immobile, qui est là devant mes yeux, ce n’est pas toi, c’est ton spectre. Oui, oui, il vient m’annoncer ta mort…

Et, poussant un cri déchirant, Antoinette tombe sur le sofa de son boudoir en murmurant d’une voix défaillante :

— Ils l’ont tué, mon Maurice ! ils ont tué mon amant ! je n’ai plus qu’à mourir !

Et l’adroite comédienne, s’arrangeant dans une pose pleine de grâce et de volupté, cacha son visage entre ses mains et feignit de perdre connaissance.