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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/474

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ainsi dire, approuvée en l’entendant hautement exprimer sa haine contre M. et madame Dumirail, et, s’il ne désirait pas encore leur mort, il regrettait du moins de n’être pas depuis longtemps orphelin.

Antoinette, le voyant dans la disposition d’esprit où elle désirait le voir pour la réussite de ses desseins, reprit, après un moment de silence et d’un ton résolu :

— Mon ami, parlons raison. Il existe un abîme entre ce qui est et ce qui pourrait être, puisque, ainsi que je vous le disais il y a un instant, notre bonheur défierait l’idéal, si le hasard avait voulu que vous fussiez à cette heure maître de vous-même et de votre fortune.

— Hélas ! il n’en est pas ainsi, Antoinette.

— Non malheureusement, et voilà pourquoi, mon ami, nous devons envisager hardiment la réalité. Cette réalité, quelle est-elle ?

— Mon père et ma mère veulent absolument me faire quitter Paris ; mais je resterai malgré eux ; aucune puissance humaine ne me séparera de toi, mon adorée.

— Mon ami, ce sont là des folies. Parlons raison.

— Quoi ! mon père me contraindrait de quitter Paris malgré moi ?

— Parfaitement.

— Je l’en défie !

— Mon bien-aimé Maurice, ne vous abusez pas ; votre père a non-seulement le droit, mais, qui pis est, le pouvoir de vous éloigner de Paris.

— Jamais !

— Ignorez-vous donc, enfant, que, tant que vous serez mineur, votre père peut, au nom de la loi, employer la force, oui, la force, afin de vous contraindre à le suivre ? Ignorez-vous donc, enfin, qu’il a le droit, et il ne reculerait certes pas devant cette extrémité, de vous faire enfermer dans une maison de correction ?

— Grand Dieu ! serait-il vrai ? — s’écria Maurice effrayé.

Puis, accablé, il ajouta :

— Oui, oui, je m’en souviens maintenant. M. Delmare m’a dit, en effet, que l’autorité paternelle s’étendait jusque-là… Quel odieux abus de pouvoir !

— C’est odieux, certes ; mais, du moins, l’autorité paternelle deviendra complétement impuissante à ton égard le jour où tu seras majeur, où tu auras vingt et un ans accomplis, et cela ne saurait tarder…