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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/475

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— Dans cinq semaines, j’aurai cet âge, — dit vivement Maurice ; — mais d’ici là ?

— D’ici là, mon ami, il faudrait te soustraire à la tyrannique oppression de ta famille, qui emploiera jusqu’à la violence pour nous séparer.

— Quelle idée ! Oh ! Antoinette, tu nous sauves ! — s’écria Maurice.

Et, réfléchissant ensuite :

— Mais comment échapper aux recherches de mes parents ? où fuir ? où me cacher ? Ils mettront la police sur mes traces.

— Si tu m’aimes autant que je t’aime, Maurice, tu suivras mon avis, et nous défierons nos ennemis.

— Voyons ! quel est ton projet ?

— Le voici. Une femme de chambre que j’ai eue longtemps à mon service occupe une jolie petite maison dans la banlieue de Paris. Cette femme est sûre. J’ai en elle toute confiance, assez de confiance pour lui confier mon trésor le plus précieux, toi, mon Maurice.

— Oh ! tu es mon bon ange !

— Ce soir, je te conduis chez cette femme, je lui donne mes instructions. Tu resteras chez elle, sans sortir durant les premiers jours de ta réclusion et je m’abstiendrai d’aller te voir ; ce sera une cruelle privation ; mais il nous faut montrer une prudence extrême. Tes parents, n’en doute pas, m’imputeront ta disparition : ils me feront épier ; or mes visites dans la banlieue, où je ne vais jamais, éveilleraient les soupçons et pourraient tout compromettre, tout perdre. Tandis qu’au contraire, en ne changeant rien en apparence à mes habitudes, pendant les premiers jours de ta retraite, mon Maurice, les soupçons tomberont d’eux-mêmes ; mes démarches seront de moins en moins surveillées, de sorte que bientôt je pourrai, chaque jour, venir consoler mon pauvre cher prisonnier.

— Dis, Antoinette… comment pourrai-je jamais reconnaître tant et tant d’amour ?

— En te laissant adorer, en me laissant te rendre le plus heureux des amants, et c’est encore moi qui te dirai merci ! Mais j’achève : tu atteindras ainsi, dans ta cachette, l’époque de ta majorité ; alors, tu pourras hautement résister à l’oppression de ta famille et défendre notre bonheur contre ceux qui le jalousent, qui le haïssent ! Enfin, tu seras homme et libre !

— Ô liberté !… liberté !… jamais tu ne m’auras paru plus chère et plus belle !