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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/487

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malgré ses égarements provoqués par les odieuses manœuvres de San-Privato !

— Ainsi, dans ta lettre à ta fille, tu lui révèles les tours diaboliques de ce gredin ?

— Oui ; car il faut que Jeane sache que, si son fiancé a eu la faiblesse de céder aux séductions de madame de Hansfeld, San-Privato a joué le rôle infâme d’entremetteur en engageant cette courtisane titrée, sa maîtresse, à séduire Maurice : prostitution meurtrière qui devait le rendre victime d’un duel inégal au profit de San-Privato, devenu l’héritier de M. et de madame Dumirail après la mort de leur fils.

— Et tu peux un moment supposer que, lorsque Jeane va savoir de quoi le muscadin est capable, elle ne le prendra pas en horreur ?

— Oui, là est ma crainte.

— Allons donc le chagrin t’a troublé la cervelle, mon pauvre fieu, et, vrai, tu deviens injuste pour ta fille. J’admets tant que tu voudras qu’elle est disposée à tourner au mal ; mais, jour de Dieu ! c’est par trop fort de seulement l’accuser de pouvoir, lorsqu’elle va savoir que tu es son père, de pouvoir un moment hésiter entre toi et ce monstre de scélératesse et de lâcheté qui voulait faire tuer par autrui le cousin dont il espérait hériter ! Je te dis, moi, que ta fille ne voudra pas rester cinq minutes de plus sous le même toit que ce brigand-là. Nous la verrons accourir ici une heure après qu’elle aura reçu ta lettre ; aussi, afin de ne pas perdre de temps, je m’en vas courir dare-dare, retenir trois places pour demain à la diligence de Nantua, et en route pour notre maisonnette du Jura, toi, ta Jeane et moi !

— Pas d’exagération, bonne mère, parlons raison.

— Je divague peut-être ?

— Non ; mais tu oublies trop la réalité pour t’abandonner à l’espérance. Cependant, je l’avoue, la justesse de l’une de tes réflexions m’a frappé.

— Enfin, c’est toujours ça de bon.

— Oui, je pense comme toi : quel que soit le développement des mauvais penchants de Jeane, quel que soit le funeste attrait que lui inspire San-Privato, elle ne peut encore être assez déchue, assez dégradée, pour ne pas ressentir autant de mépris que d’horreur pour ce misérable, lorsqu’elle saura les indignités qu’il a commises ; je dirai plus, il est possible qu’instruite des provocations auxquelles a cédé Maurice, qu’elle aime encore, j’en suis certain, et que, sachant l’horrible trame dont il a failli être vic-