Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/496

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Près de moi et d’Albert ?

— Sans doute, puisqu’il demeure avec vous, — répondit Jeane en souriant, quoiqu’elle eût frissonné au nom de son cousin.

Mais ce tressaillement ne fut pas remarqué de madame San-Privato, et elle reprit d’un ton sardonique :

— Ainsi tu ne regrettes ni mon cher frère, ni mon aimable belle-sœur, ni ton gros paysan de Maurice, qui fait de belles sottises, à ce qu’il paraît, ce dont je me réjouis d’autant plus, que mon aimable frère doit être furieux contre son fils, ce gigantesque benêt qui devait éclipser mon Albert !

— Ma tante Dumirail m’a fait trop durement sentir qu’elle et mon oncle m’avaient recueillie orpheline pour que je regrette leur maison, où j’étais d’ailleurs exposée à rencontrer M. Delmare.

— Cet ex-beau qui a tué en duel ton pauvre père ?

— Oui, ma tante… Enfin, Maurice m’avait si outrageusement sacrifiée à une aventurière, que j’ai dû accepter avec empressement l’offre hospitalière que m’a faite mon cousin en votre nom, et dont je voudrais pouvoir vous prouver ma reconnaissance.

— Ma chère, il dépend de toi de me la prouver.

— Ah ! de grâce ! dites-moi comment ?

— Mon excellent frère et ma non moins excellente belle-sœur, qui, du reste, a été assez grossière pour ne pas seulement me faire une visite en arrivant à Paris, n’auront probablement pas manqué de t’instruire que j’avais des dettes, en clabaudant, selon leur habitude, sur ce qu’ils appellent mon désordre ?

— J’ignorais…

— Que j’avais des dettes ?

— Oui, ma tante.

— Eh bien ! j’en ai, j’en ai beaucoup, et quelques-unes surtout ont l’inconvénient d’être horriblement criardes, ce qui les rend insupportables ; aussi ai-je compté sur toi, ma chère, pour…

— Hélas ! ma tante, je voudrais être riche, afin de pouvoir vous venir en aide ; mais…

— Tu ne me comprends pas. Il s’agit simplement d’amadouer, de câliner mes créanciers, de gagner du temps, d’obtenir d’eux qu’ils m’accordent quelque répit.

— Et comment y parvenir ?

— Rien de plus simple : c’est à toi désormais qu’on les adressera ; tu es charmante, et, si tu veux seulement les gentiment recevoir et leur montrer cette mine ravissante que tu avais tout à l’heure lorsque je suis entrée, ils n’auront pas le courage de re-