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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/497

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fuser tes demandes, ils t’accorderont pour mes créances tous les délais imaginables.

— Vous vous abusez, je crois, ma tante, sur l’influence que vous me supposez ; mais, si faible qu’elle soit, elle est tout à votre service… et…

— Tiens ! — dit soudain madame San-Privato interrompant sa nièce, — qu’est-ce que tu as donc au cou ?

— Ne vous occupez pas de cela, ma tante, — répondit Jeane impassible, — ce n’est rien…

— Rien ! une pareille meurtrissure !… Tu n’es guère douillette alors !… Mais comment cela t’est-il arrivé ?… Puis, j’y songe… il m’a semblé, cette nuit, entendre du bruit dans ta chambre ; on aurait dit que l’on renversait un meuble.

— Ma tante, je…

— Enfin, ce matin, en te levant, tu as demandé un serrurier.

— Oui, ma tante.

— Pourquoi ce serrurier ?

— Je désire faire poser un verrou à ma porte.

— Un verrou… à quoi bon ?

— Chère tante, — reprit Jeane en souriant, — entre autres défauts, j’ai celui d’être horriblement peureuse ; je ne dors tranquille que lorsque je sais ma porte bien verrouillée.

— Je gagerais que tu as, ainsi que moi, peur des voleurs ?

— J’en ai une peur atroce, et, cette nuit…

— Cette nuit ?…

— Vous allez vous moquer de moi…

— Achève, achève.

— Je ne dors tranquille, vous ai-je dit, que lorsque je sais ma porte fermée au verrou, sinon ma maudite poltronnerie me cause d’horribles cauchemars. Ainsi, cette nuit, il m’a semblé voir entrer des voleurs dans ma chambre et j’ai cru que l’un d’eux voulait m’étrangler ; la douleur m’a réveillée. Or, savez-vous, ma tante, qui est-ce qui m’étranglait ?

— Que veux-tu dire ?…

— C’était moi-même.

— Comment !

— Oui, durant mon cauchemar, je me serrais le cou avec une telle force…

— Qu’il est resté, en effet, une marque bleuâtre. Il faut, en vérité, pauvre fille, que tu te sois serrée d’une fière force !

— À ce point que la douleur, je vous l’ai dit, ma tante, m’a réveillée en sursaut ; mais, dans ma frayeur et encore à demi en-