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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/499

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pas dans la longueur de sa triste mansarde de la rue Saint-Nicolas, tantôt venait se rasseoir sur le bord de son lit avec accablement en murmurant :

— Elle ne vient pas… elle ne viendra pas !

— Voyons, mon Charles, — répondit Geneviève, — pourquoi mettre les choses au pis ? Voilà, au plus, deux petites heures que ta fille a reçu ta lettre, pourquoi donc te désoler d’avance, au lieu de… ?

— Nourrice, — reprit Delmare cédant à sa pensée secrète et interrompant Geneviève, — redis-moi encore ce qui s’est passé dans ton entrevue avec Jeane, et surtout tâche de te rappeler les moindres détails.

— De tout mon cœur, puisque ça te plaît, mon fieu ; ça fera la quatrième fois que je te raconterai la même chose ; mais enfin, si tu y tiens, voici : J’ai sonné, la bonne m’a ouvert la porte, je lui ai fait une belle révérence, à seule fin de l’amadouer, puis je lui ai demandé à parler à mademoiselle Jeane Dumirail, à qui j’avais à parler en particulier. « Attendez-moi là, » me réplique la servante, et, au bout d’un instant d’attente dans l’antichambre, ta fille vient me rejoindre… Ah ! qu’elle était belle, mon Dieu ! qu’elle était donc belle !

— De ceci, je n’en doute pas ; mais, et j’insiste là-dessus, quelle était l’expression de son visage ?

— Elle m’a paru d’abord un peu pâlotte, je te l’ai déjà dit, et puis elle m’a paru aussi assez triste.

— Cela est pénible à avouer, nourrice, cette tristesse de Jeane est pour moi d’un bon augure.

— C’est tout simple : elle est triste, donc elle ne se plaît pas là où elle est ; donc c’est pour nous bon signe. Enfin elle est entrée, elle m’a dit d’une voix gentille et douce…

— N’est-ce pas que le timbre de sa voix est charmant ?

— Une voix d’ange, mon Charles ! Dame, tout en elle est angélique, sa voix, sa figure, son regard ! Aussi, en la voyant, en l’écoutant, je pensais : « Où mon fieu a-t-il pu découvrir un petit côté de démon dans ce bel ange à cheveux blonds ? » Ce n’est qu’ensuite que j’ai… Mais à cela nous reviendrons. Puisque tu veux des détails, toujours est-il que ta fille me dit de sa douce voix : « Que puis-je faire pour vous, ma bonne mère ? » Dame, à ces mots de ta Jeane, qui m’appelait bonne mère, les larmes, malgré moi, me montent aux yeux ; elle s’en aperçoit et reprend d’une voix encore plus douce : « Vous pleurez !… Qu’avez-vous, de grâce ? — Ah ! mademoiselle Jeane, ce sont là de bonnes lar-