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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/5

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tableaux. Un piano droit, une bibliothèque remplie de livres, un chevalet supportant l’ébauche d’un paysage, une table où sont rangés les objets d’une écritoire de voyage d’un grand luxe ; enfin, quelques autres épaves d’une grande splendeur déchue ornent cette pièce assez vaste, servant de salon et communiquant à une chambre à coucher, fort simplement meublée, mais où l’on remarque, près d’un petit lit en fer, les nombreux flacons et ustensiles d’un nécessaire de toilette en or ciselé.

L’habitant de cette demeure se nomme Charles Delmare, et, lors de l’entrée de Geneviève, assis devant son chevalet, il s’occupe de peindre. Il est âgé d’environ quarante-cinq ans ; ses cheveux bruns commencent à grisonner vers les tempes ; ses traits, autrefois d’une beauté remarquable, ont conservé, malgré l’atteinte des années, la distinction, la pureté de leurs lignes ; sa noble et attrayante physionomie est empreinte d’un caractère de mélancolie trop accusée par la contraction de ses sourcils noirs et par certains plis du front, pour n’être pas habituelle ; l’ardeur du soleil, l’âpreté de l’air des montagnes, ont bruni, hâlé son teint naturellement pâle ; sa stature est élevée, svelte, robuste. Il est vêtu d’une veste de chasse et d’un long gilet de velours brun de même étoffe que son pantalon, et chaussé de gros souliers recouverts par des guêtres de couleur fauve ; ses habits, quoique d’une extrême propreté, sont lustrés par un long usage ; des boutons d’or attachent le poignet de sa chemise à larges raies bleues, qui cache à demi sa main dont la blancheur, les ongles roses et polis témoignent d’un soin extrême de sa personne.

Nous l’avons dit, Charles Delmare ébauchait un paysage en s’inspirant d’une étude peinte par lui d’après nature. Il accueillit d’un bienveillant sourire la venue de Geneviève, en lui disant :

— Que me veux-tu, nourrice ?

— Je te dérange peut-être, mon fieu ? — répond la bonne femme avec une familiarité presque maternelle ; — mais on dit : « Les affaires passent avant tout… » Je t’apporte nos comptes du mois…

— Très-bien… assieds-toi là.

— C’est inutile… j’aurai bientôt fait de…

— Assieds-toi… tu es, malgré ton âge, debout du matin au soir, allant et venant, travaillant sans cesse ; il faut que tu aies une santé de fer, ou plutôt, il faut que tu me sois aussi affectionnée, aussi dévouée que tu l’es, ma pauvre Geneviève, pour endurer, depuis bientôt trois ans, de pareilles fatigues, sans jamais te plaindre !