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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/4

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nombreux brillaient d’une extrême propreté : un lit à baldaquin, garni de ses rideaux de serge verte, un buffet surmonté d’un dressoir, rempli de poteries grossières, une grande armoire de noyer à ferrures luisantes, quelques escabeaux, une table à manger, meublaient cette pièce assez vaste, éclairée par l’ouverture du battant supérieur de la porte et par une étroite fenêtre près de laquelle se tient assise à côté de son rouet, qu’elle laisse alors immobile, une vieille femme portant l’ancien costume des paysans des environs de Paris, et le bonnet ceint d’un mouchoir à carreaux rouges rayés de blanc ; quoique âgée de plus de soixante ans, elle semble encore très-alerte et d’une santé florissante ; sa physionomie est vive et ouverte. Geneviève (c’est son nom), un crayon à la main, s’occupe d’écrire et de chiffrer dans un carnet placé sur son genou, levant de temps à autre les yeux au plafond, afin de rassembler ses souvenirs ; enfin elle additionne une seconde fois la colonne de chiffres, puis se dit avec un accent de surprise :

― Quarante-neuf francs et huit sous ! C’est un gros mois, un bien gros mois ! Est-ce que j’aurais fait une erreur ?

Geneviève calcule de nouveau et reprend :

— Non, il n’y a pas d’erreur, je viens de recommencer à compter par le bas de la colonne, et je retrouve encore mes quarante-neuf francs et huit sous ! C’est égal, j’en suis pour ce que j’ai dit… c’est un bien gros mois ! Pourtant ce n’est pas ma faute si… Enfin… allons porter mon livret à mon fieu.

L’appartement voisin où entra Geneviève offrait un singulier contraste avec l’extérieur agreste de la maison : un riche tapis, dont le temps a fait pâlir les couleurs jadis éclatantes, couvre le plancher ; les murs sont tapissés d’un papier amarante sur lequel se détache la bordure dorée de plusieurs tableaux : l’un d’eux, placé en évidence, est le portrait d’un homme à cheveux blancs ; sa figure est remplie de franchise, de bonhomie ; son regard brille d’une rare intelligence. Un autre tableau représente un magnifique cheval de chasse, type achevé du hunter, ainsi que disent les Anglais ; son élégant cavalier porte l’habit écarlate, des culottes de daim et des bottes à revers. Au-dessous du cadre, on lit dans un cartouche : Colonel-Thornton (nom du cheval et non pas celui du cavalier). Une autre peinture hippique offre l’image d’une jument de course du sang le plus pur et d’une beauté merveilleuse. Son nom, Miss-Alicia, est aussi écrit sur le cadre ; le jockey qui la monte est vêtu d’une casaque orange comme sa toque. Enfin, plusieurs vues du fond du lac Léman, prises des environs de Lausanne, et peintes avec talent, avoisinent ces différents